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Une pensée façonnée par l’industrie du tabac

Une pensée façonnée par l’industrie du tabac

Une forte acceptabilité sociale du tabagisme

Outre la pression exercée sur les décideurs, il existe une interférence plus subtile, moins directe qui porte sur le climat général et qui maintient le geste de fumer comme une norme incontournable voire souhaitable dans notre société. Cette interférence porte sur l’acceptabilité sociale du tabagisme.

La norme sociale est « une règle de conduite dans une société ou un groupe social. Les normes sociales définissent le domaine de l’action sociale en précisant ce que l’individu peut ou ne peut pas faire »[1].

Les leaders d’opinion ont une influence majeure dans l’acceptabilité sociale d’un comportement.
Un leader d’opinion est une personne possédant une expertise, un statut ou une audience lui permettant d’influencer un public donné. 
Les leaders d’opinion peuvent être des journalistes, des experts (chercheurs, intellectuels), des responsables politiques, des personnalités médiatiques artistes, etc., et c’est au travers du rôle de ces leaders d’opinion, que de nouvelles normes sociales peuvent émerger, se développer ou être maintenues.

L’acceptabilité sociale du tabagisme se situe à trois niveaux :

  • Ce qu’appelle Maurice Tubiana, dans son rapport sur le tabagisme (2009), l’influence de « modèles identitaires » sur le comportement des autres

« Toute personne qui fume en public se transforme en panneau publicitaire pour le tabac en donnant envie de fumer et en banalisant cet acte. Ce geste est particulièrement nocif chez ceux qui servent de modèles : les parents, les membres des professions de santé, les enseignants. Malheureusement, la France est l’un des pays où l’on fume le plus en public. Il est préoccupant que la proportion de médecins fumant soit particulièrement élevée en France (32 % en 2003) par rapport aux pays qui réussissent dans la lutte contre le tabagisme (moins de 8 % de médecins fumeurs dans ces pays, 5 % en Grande-Bretagne). La proportion de fumeurs parmi les étudiants en médecine est souvent proche de celle des autres jeunes. « . 
Cette notion de « modèle identitaire » pose également la question de la valorisation et de l’esthétisation du tabac dans le discours des leaders d’opinion.

  • Le détournement des mots et de leurs significations (liberté, plaisir, etc.) par l’industrie du tabac au travers de vastes campagnes de publicités, ou via des relais dans le monde de la recherche, et qui contribuent à faire perdurer dans les esprits et les mentalités de fausses idées.

Ces stratégies ont eu pour objectif de banaliser la consommation de tabac et même de la rendre si ce n’est souhaitable du moins incontournable.

Cet extrait tiré du numéro du 14 avril 2017 de la revue Madame Figaro en constitue une illustration : un détournement implicite par des leaders d’opinion, des mots et de leur sens courant, qui se dessine en filigrane au regard d’une campagne déguisée en faveur du tabagisme. Ce détournement, qu’il soit intentionnel ou non, est issu de dizaines d’années d’une rhétorique valorisante à l’égard du tabagisme répétée et rabachée par le lobby protabac et leurs alliés.

L’actrice Marina Foïs s’invite en couverture du magazine, dans un dossier intitulé « Le cinéma, c’est mon addiction« .

Extraits :

« Coincée sur une banquette de l’Hôtel Amour, s’accordant des pauses cigarettes régulières (elle fume comme un pompier), Marina Foïs est attentive, intéressante, sympathique (…). Ce qui surprend (et ravit), c’est la liberté de parole, inhabituelle à l’ère du formatage général et de l’eau tiède pour tous. À sa façon, elle combat la pensée unique et se distingue par une non-langue de bois imperturbable qui semble se jouer des préjugés et des interdits… »

Nous ne remettons aucunement en question la véracité de ces affirmations et déclarations. Toutefois, ceux-ci prennent une autre tournure dès lors qu’ils sont accompagnés de clichés de l’actrice (dont une légende nous indique qu’elle est une « moderne héroïne« ) mettant en scène l’acte de fumer de manière extrêmement valorisante. La force de l’industrie du tabac se dessine subtilement dans le discours liant le tabagisme à un pseudo-discours de liberté, à une pseudo-rébellion, mais qui se place dans la ligne droite des stratégies de l’industrie du tabac.

Doit-on rappeler le caractère extrêmement addictif des produits du tabac ? Doit-on rappeler que l’industrie s’érigeait en rempart contre la « pensée unique » ou la « pensée dominante » véhiculée par les revues scientifiques, comme l’écrivent les économistes Pierre Cahuc et André Zylberberg (lire à ce propos les extraits de l’ouvrage « Le négationnisme économique » sur l’industrie du tabac) ? Doit-on rappeler que l’industrie du tabac se portait en défenseurs de la liberté de parole tout en faisant taire les avis affirmant le contraire ? Orwell écrivait « L’esclavage, c’est la liberté ». Subtilité du paradoxe.

Voir aussi notre article « Discours de lobbyistes » 

  • L’influence des pratiques marketing des fabricants 

Bien que la loi interdise toute forme de publicité directe et indirecte en faveur du tabac, l’industrie du tabac a toujours assimilé la pratique tabagique à des valeurs positives (liberté, indépendance, glamour, rébellion, affirmation de soi etc.) par le biais du cinéma au travers des placements de produits dans les œuvres cinématographiques, des magazines, des paquets de cigarettes esthétiques. L’acceptabilité sociale de la pratique tabagique et, de façon sous-jacente, l’image valorisée du fumeur, sont des thèmes récurrents évoqués dans les stratégies de l’industrie du tabac pour recruter notamment des jeunes consommateurs.

Ce type d’interférence tend à rendre encore plus difficile la prise de décision chez les responsables politiques pour entreprendre un projet de loi ou faire adopter une loi, du fait d’un niveau de soutien faible venant des leaders d’opinion présentés ici comme représentatifs de la population.

[1] Dictionnaire d’Economie et de Sciences Sociales », 5ème édition, Nathan

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