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Les prix 5.3

Pour des politiques publiques sans tabac et sans lobby

Le 17 novembre 2022 se tiendra la deuxième édition des Prix 5.3. Organisé par le Comité national contre le tabagisme (CNCT), cet événement cherche à aborder la question du tabagisme sous un angle différent, celui des pratiques de lobbying et de l’influence de l’industrie du tabac dans les sphères politiques, économiques, et médiatiques.

À travers la tenue de deux tables rondes animées par Danielle Messager, cet événement sera l’occasion de croiser les expertises en matière de lutte contre le tabagisme, et d’expliciter les enjeux actuels et à venir. Pour cette deuxième édition, le thème retenu de ces tables rondes sera celui de la protection de la jeunesse de l’influence de l’industrie du tabac.

Au terme de ces deux échanges, un jury, présidé par Michel Cymes, remettra différents prix, positifs comme négatifs, afin de récompenser les meilleures initiatives permettant de réduire l’influence de l’industrie du tabac, et de pointer du doigt les pires pratiques de lobbying.

Pourquoi cet événement ?

Les dégâts sanitaires engendrés par la consommation de tabac sont aujourd’hui connus. Pourtant, malgré les différentes mesures mises en place et les progrès observés ces dernières années, la consommation de tabac demeure en France comme dans le monde à des niveaux épidémiques (31,8%). Selon l’OMS, l’ingérence de l’industrie du tabac est le premier obstacle à la mise en place de politiques de santé publique, et donc à l’amélioration de la situation sanitaire.

En novembre 2021, l’Indice général de l’interférence de l’industrie du tabac a souligné une dégradation de la situation de la France dans sa capacité à garantir l’indépendance de l’élaboration de ses politiques publiques contre l’influence de l’industrie du tabac. Si cette situation n’est pas propre à la France, elle doit cependant être prise au sérieux, et témoigne de la nécessité de maintenir une forte vigilance face aux stratégies de lobbying de l’industrie du tabac.

 

L’article 5.3 : une disposition décisive pour la santé publique

Parmi cet ensemble de mesures, la Convention-cadre prévoit une disposition relative à la protection des politiques publiques contre l’ingérence de l’industrie du tabac. L’article 5.3 de la CCLAT dispose ainsi : « En définissant et en appliquant leurs politiques de santé publique en matière de lutte antitabac, les Parties veillent à ce que ces politiques ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac, conformément à la législation nationale ». Cette disposition contraint spécifiquement les Parties à neutraliser les stratégies mobilisées directement ou indirectement par l’industrie du tabac pour influencer les politiques de santé publique, anéantir les efforts des acteurs du contrôle du tabac, et s’opposer aux mesures allant à l’encontre de ses intérêts financiers. L’article 5 .3 s’inspire en particulier d’un principe directeur clair, selon lequel il existe « un conflit fondamental et inconciliable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique ».

Première table ronde : « État des lieux : le tabagisme, une épidémie pédiatrique d’origine industrielle »

 

Les adolescents constituent la cible prioritaire de l’industrie du tabac. Et pour cause : plus l’on commence à fumer tôt, plus l’addiction tabagique et nicotinique sera forte, et plus le sevrage sera difficile. Alors que la vente de tabac aux mineurs est interdite depuis près de 20 ans, l’âge moyen de la cigarette se situe en France entre 13 et 14 ans. Cette initiation précoce est lourde de conséquences, puisque l’on estime que sur trois jeunes qui fument leur première cigarette, deux seront fumeurs pendant au moins une partie de leur vie.

Ce renouvellement générationnel permanent est une question de survie pour les cigarettiers, qui voient plus d’un de leurs consommateurs sur deux mourir prématurément en raison de leur tabagisme. Pour maintenir la consommation tabagique, et donc assurer la pérennité de son activité, l’industrie du tabac est donc structurellement contrainte de cibler les plus jeunes générations. Avec chaque année 200 000 nouveaux jeunes consommateurs en France, le tabagisme doit être considéré comme une épidémie industrielle et pédiatrique, encore loin d’être résolue : plus d’un adolescent de 17 ans sur quatre est aujourd’hui fumeur en France. La pleine garantie de la protection de la jeunesse à l’égard du tabagisme constituerait une menace immédiate et irréversible pour la profitabilité de ce secteur. Autrement dit, il existe une incompatibilité fondamentale entre les intérêts de l’industrie du tabac et la protection effective des droits de l’enfant.

Les observatoires menés par le Comité national contre le tabagisme (CNCT) en 2019 et 2021 témoignent d’un constat accablant quant à l’accessibilité des produits du tabac pour les jeunes générations. Plus de dix ans après l’interdiction de vente de tabac aux mineurs, on estime que deux buralistes sur trois acceptent encore de vendre à des adolescents de moins de 18 ans, en dépit de la réglementation, des campagnes d’information et de sensibilisation, et de leur statut de préposé de l’État.

En parallèle, la prise de contrôle du secteur de la cigarette électronique par l’industrie du tabac s’est traduite par le recyclage de techniques marketing mobilisées par les cigarettiers pendant des décennies. Qu’elles soient légales (utilisation d’arômes et d’additifs), ou désormais interdites (orchestration de campagnes publicitaires sur internet), toutes ces stratégies visent à normaliser et à faciliter la consommation de produits toxiques auprès d’un public vulnérable.

Intervenants :

  • Agnès Alvarez, Directrice d’études au sein de l’institut Audirep
  • Viêt Nguyen Thanh, Responsable de l’unité Addictions chez Santé publique France
  • Marie-Odile Krebs, Psychiatre, professeure et chercheuse à l’Institut de psychiatrie et neurosciences de Paris
  • Laurent Huber, Directeur Exécutif de l’Action on Smoking and Health (ASH États-Unis)

 

Seconde table ronde : « Comment protéger les jeunes générations de l’industrie du tabac ? »

 

Compte tenu de son caractère pédiatrique, une lutte efficace contre l’épidémie tabagique passe d’abord par la protection des jeunes générations. C’est le sens des politiques de santé publique actuellement menées, avec l’objectif d’atteindre en France la première génération sans tabac d’ici 2032. À cette date, la prévalence tabagique des jeunes de 18 ans devra être inférieure à 5%.

Dans cette perspective, un certain nombre de mesures ont été mises en place ces dernières années, dans le but de dissuader l’initiation tabagique et d’en dénormaliser la consommation, à l’instar des hausses de taxes sur le tabac, de l’adoption du paquet neutre, de l’interdiction de toute forme de publicité y compris sur les lieux de vente, de l’interdiction de vente de produits du tabac aux mineurs ou encore de la multiplication des espaces sans tabac. Chacune de ces mesures a rencontré l’opposition de l’industrie du tabac ou celle de ses alliés, comme la Confédération des buralistes, se caractérisant par un lobbying intense visant à affaiblir, retarder, ou bloquer l’ensemble de ces dispositions de santé publique.

Malgré l’adoption de cet arsenal cohérent de mesures de santé publique, la consommation tabagique demeure à des niveaux épidémiques auprès des jeunes générations. Une partie de cette situation peut s’expliquer par l’ensemble des stratégies de contournements, y compris illégales, entreprises par l’industrie du tabac, pour affaiblir ces mesures et garantir la pérennité de ses activités.

Autrement dit, l’activité d’interférence de l’industrie du tabac à l’égard de la santé publique doit être comprise dans un sens plus large. Non seulement, les fabricants cherchent a priori à influencer la réglementation dans un sens favorable à leurs intérêts, mais n’hésitent pas a posteriori à sortir du cadre de la légalité pour maintenir et diffuser l’épidémie tabagique.

Ce recours permanent à l’illégalité est une caractéristique de l’industrie du tabac, et dont la raison est connue : compte tenu de la faible valeur dissuasive des condamnations prononcées, il est plus profitable pour l’industrie du tabac d’enfreindre la loi, d’être poursuivie et condamnée, que de respecter une réglementation contraignante et protectrice, en tournant le dos au marché stratégique que représentent les adolescents.

Face à ces pratiques d’interférence et d’affaiblissement, quelles réponses apporter pour garantir l’indépendance et la pleine effectivité des mesures de santé publique, et assurer ainsi la protection des jeunes générations ?

Intervenants :

  • Xavier Elharrar, Pneumologue qui a particulièrement travaillé sur la question de l’interdiction de vente aux mineurs
  • Hugo Lévy, Avocat à la Cour
  • Christophe Pallez, Déontologue de l’Assemblée nationale

Vous trouverez ci-dessous la liste des initiatives sélectionnées dans le cadre des prix 5.3 2022. Les prix 5.3 comportent deux grandes catégories : les prix positifs, récompensant les initiatives qui ont contribué à lutter contre l’interférence de l’industrie du tabac, et les prix négatifs, pointant du doigt les pires initiatives en matière d’ingérence.

Pour les prix positifs :

  • Le 5.3 de l’indépendance : récompense une personne physique ou morale s’étant distinguée par ses bonnes pratiques en matière de lutte contre l’ingérence de l’industrie du tabac.
  • Le 5.3 de l’initiative politique et juridique : récompense l’auteur d’un amendement, d’un projet ou d’une proposition de loi, mais également un défenseur du droit à la santé à travers la lutte contre le tabagisme.
  • Le 5.3 de l’information : récompense un journaliste, un média, un lanceur d’alerte.
  • Le Grand 5.3 : récompense le vainqueur de toutes ces catégories et sera remis par Michel Cymès.

 Pour les prix négatifs :

  • Le Mégot de l’ingérence : distingue à la fois les pires pratiques d’ingérence en France de la part de l’industrie du tabac, mais également des acteurs qui lui sont associés.
  • Le Mégot de la langue de bois : distingue les pires pratiques en matière de désinformation en particulier celles relatives aux enjeux de Responsabilité sociale et de greenwashing.
  • Le Mégot du hors-la-loi : distingue les pires contournements réglementaires.
  • Le Mégot d’Or : distingue le grand vainqueur de toutes ces catégories et sera remis par Michel Cymès.

Les nominés pour les prix positifs :

Le 5.3 de l’indépendance
  • Anaïs Widiez – Conseillère Régionale Auvergne Rhône-Alpes du groupe écologiste

Le 22 septembre 2022, la Commission Sécurité du Conseil régional Auvergne Rhône-Alpes a auditionné Daniel Buquel, chef du service Prévention du commerce illicite de Philip Morris France (PMF). Le groupe écologiste, à travers Anaïs Widiez, a protesté contre cette audition, en la signalant notamment au Comité national contre le tabagisme, en rappelant qu’il existe “un conflit fondamental et irréconciliable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique”, tout en soulignant le rôle du fabricant dans l’organisation et la facilitation de la contrebande. Malgré cette tentative, l’audition a été maintenue par la Commission Sécurité.

Cette nomination récompense le groupe écologiste et Anaïs Widiez pour avoir cherché à préserver l’indépendance du Conseil régional Auvergne Rhône-Alpes de l’influence de l’industrie du tabac.

Le 5.3 de l’initiative politique et juridique
  • Christophe Pallez – Déontologue de l’Assemblée nationale

Suite aux sollicitations du Comité national contre le tabagisme, Christophe Pallez a accepté d’inclure dans le nouveau Guide de Déontologie de l’Assemblée nationale un paragraphe spécifique dédié à la prise en compte de l’article 5.3 de la CCLAT dans les travaux de l’Assemblée nationale, ainsi que dans les relations entre les élus et les représentants de l’industrie du tabac. Ce document a été distribué à tous les parlementaires au début de leur mandat afin de les aider à adopter de bonnes pratiques, notamment face à la pression exercée par les groupes d’intérêts. Au-delà du rappel de la réglementation en matière de lobbying de l’industrie du tabac, Christophe Pallez rappelle dans le guide la spécificité de l’industrie du tabac, et formule des recommandations aux députés, en cohérence avec les principes de CCLAT.

Cette nomination récompense Christophe Pallez pour son souci de l’indépendance des pouvoirs publics à l’égard de l’influence des cigarettiers.

  • Pierre Cuny (Maire de Thionville) & Bertrand Ollivier (Maire de Joinville)

Pierre Cuny et Bertrand Ollivier, en lien avec le Comité national contre le tabagisme et Grand Est sans tabac (GEST), ont engagé leur municipalité respective dans le projet de Ville Libre Sans Tabac. Celui-ci consiste en la mise en œuvre d’un programme local et complet de lutte contre le tabagisme : notamment des actions de prévention, d’aide à l’arrêt, de respect des interdits protecteurs avec la mobilisation de la police municipale, ou encore de développement des lieux sans tabac. Ce projet est destiné à améliorer la santé et la qualité de vie des habitants. Par l’instauration de Mairie libre sans tabac, ces deux villes donnent également l’exemple.

Cette nomination récompense Pierre Cuny et Bertrand Ollivier pour leur engagement en faveur de la lutte contre le tabagisme et pour la mise en place de programmes innovants de santé publique.

Le 5.3 de l’information
  • Santé publique France

Santé publique France, en partenariat avec le Ministère en charge de la Santé et l’Assurance Maladie a lancé, début 2022, une campagne d’incitation à l’arrêt du tabac à destination des fumeurs et en particulier des publics les plus fragiles sur le plan socio-économique. Cette campagne a pour objectif de déconstruire les craintes liées à l’arrêt du tabac et à inciter les fumeurs à se faire aider. Cette campagne ciblée est particulièrement importante puisque la prévalence du tabagisme a augmenté de trois points chez les fumeurs plus défavorisés au niveau socio-économique.

Cette campagne s’appuie sur des leviers essentiels pour atteindre les personnes à qui elle s’adresse : situations ancrées dans la vie quotidienne, témoignages filmés, le tout allié à une communication de proximité grâce à un dispositif multicanal. Elle permet d’aller à l’encontre de la désinformation de l’industrie du tabac concernant l’échec d’une bonne prise en charge des fumeurs et des mesures de promotion du sevrage et de ses traitements.

Cette nomination distingue Santé publique France pour son travail de prévention et son effort perpétuel visant à infléchir la consommation de tabac en France.

 

  • Matthew Chapman & The Bureau of Investigative journalism

Matthew Chapman est un journaliste britannique enquêtant plus particulièrement sur l’industrie du tabac, dans le cadre du projet Smoke Screen du Bureau of investigative journalism, une organisation non gouvernementale britannique consacrée à la production d’articles d’investigation. En 2022, il a notamment travaillé sur les sujets suivants :

  • La sous-évaluation de la teneur en nicotine contenue dans les recharges de tabac chauffé Heets pour le dispositif IQOS de Philip Morris ;
  • La publicité ciblée de l’industrie du tabac autour des écoles et des terrains de jeux dans plusieurs pays en développement ;
  • L’absence de recyclage des cigarettes électroniques jetables au Royaume-Uni, qui pour la grande majorité d’entre elles finissent à la décharge ;
  • La publicité pour les cigarettes aromatisées près des écoles au Pérou.

Cette nomination récompense Matthew Chapman ainsi que le média The Bureau of Investigative journalism pour leur travail de déconstruction du discours de l’industrie du tabac, et leur participation à la dénormalisation de ce secteur.

 

  • Ketty Deléris, tabacologue et addictologue

Ketty Deléris est tabacologue, addictologue et créatrice de contenus de prévention des addictions à destination des adolescents et jeunes adultes sur les réseaux sociaux. Avec plus de 207 000 abonnés sur son compte TikTok, Ketty Deléris reprend les codes du réseau social préféré des adolescents et jeunes (et moins jeunes) adultes pour délivrer des messages de prévention et des conseils pour l’arrêt de certaines substances addictives. Dans de courtes vidéos engageantes et ludiques, elle déconstruit les mythes entretenus par l’industrie du tabac autour du tabagisme et du vapotage. Par son engagement et son succès grandissant sur ces plateformes, cette professionnelle de santé permet de mieux faire connaître l’ensemble des effets délétères de l’industrie du tabac et contribue ainsi à l’objectif d’une génération sans tabac d’ici 2032.

Cette nomination récompense Ketty Deléris pour son engagement sans faille dans la prévention du tabagisme des jeunes et contre les pratiques récurrentes de désinformation de l’industrie du tabac.

 

  • Le média Reporterre

Au cours de l’année 2022, le média indépendant et écologiste Reporterre a consacré quatre articles et tribunes à la thématique du tabac, pointant notamment les dégâts environnementaux causés par cette industrie.

Cette nomination récompense Reporterre pour son rôle dans la dénormalisation du tabagisme. L’intérêt d’un tel média pour la question du tabac permet également d’ouvrir la lutte contre le tabagisme à d’autres sujets et à d’autres publics, au-delà du strict champ

Le Mégot de l’ingérence
  • L’Institut de recherches économiques et fiscale (IREF)

Lors de l’édition 2021, l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF), un think tank libéral, avait déjà été nominé pour la publication d’une étude sur la fiscalité des produits du tabac, financée par Philip Morris France, se révélant être un véritable plaidoyer en faveur du fabricant. Quelques mois plus tard, avant l’examen du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), l’IREF avait proposé une formation à destination des parlementaires sur la fiscalité comportementale, en appui d’amendements favorables au fabricant.

En 2022, le think tank a poursuivi sa relation partenariale avec Philip Morris France, en participant à la présentation des résultats de l’étude du cabinet KPMG relatif aux marchés parallèles et au commerce illicite des produits du tabac, dont le manque de rigueur scientifique et l’absence de transparence méthodologique ont été pointés du doigt par la littérature scientifique. En particulier, l’avocat Jean-Philippe Delsol, Président de l’IREF a proposé un exposé visant à démontrer l’inefficacité des hausses de taxes pour endiguer la consommation de tabac, en dépit de l’ensemble des évidences scientifiques disponibles sur le sujet.

La nomination de l’IREF distingue le think tank en tant que tierce-partie de l’industrie du tabac, et acteur de diffusion et de crédibilisation d’un discours favorable aux intérêts de l’industrie du tabac.

  • KPMG

Depuis 2004, le cabinet de conseil KPMG publie chaque année un rapport relatif à l’évaluation de l’ampleur des marchés parallèles dans chacun des pays de l’Union européenne. Financé par l’industrie du tabac, ce rapport est pointé du doigt par la littérature scientifique pour son manque de fiabilité, l’absence de transparence méthodologique et de validation externe, se traduisant par une surestimation de l’ampleur du commerce illicite en général, et de la contrefaçon en particulier. Le manque de sérieux des chiffres avancés est admis à demi-mots par l’entreprise elle-même, qui indique à chaque rapport ne pas avoir « cherché à établir la fiabilité des sources d’information ». Malgré son absence de légitimité scientifique, ce rapport connaît à chaque parution un fort écho médiatique et politique. Or, le discours alarmiste visant à laisser croire à une hausse constante des marchés parallèles vise à un objectif précis : dissuader les pouvoirs publics d’entreprendre toute forme de réglementation, à commencer par les hausses de taxes sur le tabac, accusées de favoriser les achats hors réseau.

La nomination de KPMG distingue ainsi le cabinet de conseil pour la mise en place d’un puissant outil de désinformation et de lobbying en faveur des intérêts de l’industrie du tabac.

  • Groupe AEF pour accueillir Philip Morris au salon produrable

Les 14 et 15 septembre 2022 s’est tenue la 14e édition du Salon Produrable, qualifié comme étant le plus grand rendez-vous européen des Acteurs et des Solutions de l’économie durable. Organisé par le groupe AEF, éditeur de presse et sous le double patronage des Ministères de la Transition Écologique et Solidaire et de la Cohésion des Territoires, l’événement réunit chaque année décideurs et acteurs du développement durable et de la RSE en Europe. Alerté par la présence, pour la 4e année consécutive, du cigarettier Philip Morris France à ce salon, le CNCT a envoyé un courrier au groupe AEF lui demandant d’exclure le fabricant du salon en détaillant l’impact environnemental particulièrement lourd du secteur du tabac et de sa tentative d’instrumentaliser la RSE pour se faire passer pour un acteur responsable auprès des décideurs politiques. Le fabricant utilise tout particulièrement ce type de rencontre pour faire la promotion de ses nouveaux produits du tabac et de la nicotine.

Dans sa réponse, le groupe AEF a non seulement refusé d’annuler la participation de Philip Morris France au salon mais a également justifié la présence du cigarettier en vantant ses efforts en matière « d’inclusion, de transformation de ses activités et de développement durable. ». Le groupe a par ailleurs indiqué que des « mesures sont prises pour qu’aucun support communiqué par PMI au cours du salon ne puisse faire la promotion des produits du tabac ». Une mesure non respectée puisque PMF, à travers sa responsable RSE, Natasha Pouget, fait la promotion de ses « alternatives sans combustion » dans son discours sur le stand.

Cette nomination distingue le groupe AEF pour sa décision visant à normaliser les activités délétères de l’industrie du tabac et pour le non-respect des engagements internationaux pris par la France en matière de protection de la santé publique.

Le Mégot de la langue de bois
  • Alcome

En conséquence de la transposition de la directive européenne des produits du tabac, et selon le principe de la Responsabilité Élargie des Producteurs, l’éco-organisme Alcome a reçu l’agrément des pouvoirs publics en août 2021 dans l’objectif de s’adresser au problème de la gestion des mégots. Cet éco-organisme pose plusieurs problèmes :

  • Alcome est exclusivement composé par les fabricants de tabac et la Confédération des buralistes, en violation de la Convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, et du Code de la Santé Publique ; 
  • En ne s’attachant qu’à oeuvrer en faveur d’une “réduction significative des mégots mal jetés dans l’espace”, Alcome élude totalement la responsabilité des fabricants dans la pollution de l’environnement par les mégots ;
  • L’éco-organisme est par ailleurs utilisé par l’industrie du tabac comme un outil de communication visant à valoriser les actions de responsabilité sociale des fabricants, également en violation de la réglementation ;
  • Alcome fait la promotion de solutions contre-productives, comme la distribution gratuite  de cendriers de poche jetables, tout en faisant l’impasse sur des mesures démontrées comme efficaces (multiplication des espaces sans tabac, suppression du filtre, etc).

La nomination d’Alcome distingue l’éco-organisme comme outil de greenwashing de l’industrie du tabac, et comme levier de renormalisation et d’influence de l’industrie du tabac auprès des décideurs publics.

  • L’IFOP

En mai 2022, l’IFOP a publié une étude réalisée pour Philip Morris, intitulée “Connaissances et opinions des Français à l’égard des solutions alternatives à la cigarette à combustion”. Cette étude, au-delà de contribuer à la confusion entre la cigarette électronique et le tabac chauffé, entretenue par Philip Morris, consacre une partie de l’étude à évaluer la perception des hausses de taxes sur le tabac par la population française. Selon l’étude, une majorité de Français considèrent que cet outil est peu efficace pour lutter contre le tabagisme, tandis que 39% d’entre eux estiment que les politiques fiscales ont pour première conséquence de favoriser les marchés parallèles. François Legrand, qui a dirigé l’étude au sein de l’IFOP, a présenté ses résultats dans le cadre de la conférence organisée par Philip Morris sur l’étude de KPMG relative au commerce illicite. Alors que l’étude de l’IFOP ne s’attache qu’à la perception de l’efficacité des hausses de taxes, celle-ci a été instrumentalisée par le fabricant pour décrédibiliser la fiscalité en tant qu’outil de santé publique.

Cette nomination de l’IFOP distingue l’institut de sondage pour prêter son concours à une stratégie générale d’influence de l’industrie du tabac.

  • Natasha Pouget, Responsable RSE chez Philip Morris France

Natasha Pouget, Senior Manager Engagements Extérieurs et responsable de la RSE chez Philip Morris France est intervenue à de multiples reprises dans les médias et lors du Salon Produrable, organisé en partenariat avec le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire. Dans ses interventions, elle met en avant la responsabilité sociale et environnementale de Philip Morris France et son changement de vision l’amenant à abandonner la cigarette combustible dans les prochaines années au profit des « alternatives sans combustion », à savoir le tabac à chauffer et la cigarette électronique. Elle n’hésite pas à s’opposer directement aux mesures de lutte contre le tabagisme mises en place ces dernières années en France et prétend que Philip Morris peut apporter des « solutions » à cette épidémie tabagique à l’aide de ses alternatives prétendument moins nocives et plus respectueuses de l’environnement. Natasha Pouget instrumentalise ainsi la stratégie de RSE du fabricant dans le but de redorer son image, ternie par des décennies de scandales sanitaires mondiaux. La RSE est du reste considérée comme une forme de publicité indirecte par la Convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac ainsi que dans le code de la santé publique. De même, la présence d’un fabricant de tabac à un événement organisé en partenariat avec un ministère est contraire aux obligations de ce même traité. Ce dernier vise notamment à limiter au maximum les interactions entre pouvoirs publics et cigarettiers en raison d’objectifs fondamentaux incompatibles avec l’intérêt général.

A cet égard, il faut rappeler que l’activité du cigarettier est toutefois incompatible avec la responsabilité sociale. Comme le rappelle le Pacte mondial des nations unies, il existe « un conflit d’intérêts entre ces produits et les droits de l’homme, le droit à la santé publique, à la sécurité internationale et à la paix »

Cette nomination vise à distinguer Natasha Pouget pour la distance entre son discours relatif à la responsabilité sociale et environnementale de Philip Morris France, et la réalité du désastre humain, sanitaire, économique, environnemental et financier dont le cigarettier est à l’origine.

  • Jeanne Pollès, présidente de Philip Morris France

La présidente de Philip Morris France, Jeanne Pollès a multiplié en 2022 les prises de parole médiatiques pour faire la promotion active et directe des nouveaux produits du tabac et de la nicotine du fabricant, classés sous la dénomination trompeuse « d’alternatives sans combustion ».

Dans des interviews ou des interventions sur plateau télévisé qui lui sont entièrement dédiés, la présidente de l’entreprise responsable de plus de 30 000 décès annuels prématurés évitables en France, fait la promotion active et directe de son dispositif de tabac à chauffer IQOS et de sa nouvelle marque de cigarette électronique VEEV arrivée en France en juin 2022 qu’elle place au même niveau en termes de nocivité en les amalgamant sous l’appellation d’« alternatives sans combustion ». La présidente indique que ces produits sont tous deux des « meilleurs choix » pour le fumeur d’un point de vue sanitaire. À travers ce discours marketing, Jeanne Pollès entretient délibérément la confusion entre le vapotage et le tabac à chauffer. Elle utilise par ailleurs les produits du vapotage comme un brise-glace pour la promotion du tabac chauffé dans le but de renormaliser la consommation de tabac et d’assouplir la réglementation. Aucune étude indépendante ne corrobore les affirmations de Philip Morris selon lesquelles la consommation de tabac chauffé entraîne une réduction des risques.

Cette nomination distingue Jeanne Pollès pour son discours trompeur autour des alternatives sans combustion du fabricant et pour induire en erreur le grand public, les journalistes et les décideurs politiques sur la nocivité réelle du tabac à chauffer.

Le Mégot du hors-la-loi
  • Le fabriquant Liquidéo pour la promotion illicite de sa cigarette électronique jetable « Wpuff »

Le 16 septembre 2022, le Président du tribunal judiciaire de Paris, saisi par le Comité national contre le tabagisme (CNCT) a condamné la marque de cigarette électronique jetable Wpuff, fabriquée par Liquidéo, pour ses activités de promotion illégale des produits du vapotage. En effet, le site publicitaire « Wpuff », associé à un compte Instagram étaient intégralement construits autour de la promotion publicitaire des dispositifs électroniques jetables de vapotage. De telles pratiques promotionnelles entrent en complète violation de la réglementation en vigueur en France. Par ailleurs, le fabricant Liquideo continue de déployer son activité dans de nombreux lieux de vente, en continuant à mobiliser des stratégies marketing illégales (publicités sur le lieu de vente, offres promotionnelles, etc).

Cette nomination distingue Liquidéo pour ses violations répétées et délibérées des mesures de protection de la santé publique.

  • British American Tobacco France (BATF) pour la publicité illicite autour de ses produits du vapotage

Le fabricant British American Tobacco (BAT) a renforcé ses offensives marketing sur les lieux de vente (buralistes, supermarchés et Relay), pour faire la promotion active et illicite de ses dispositifs de vapotage de la marque Vuse. BAT a équipé de nombreux débits et Relay dans les gares et aéroports français d’écrans publicitaires animés qui mettent en avant les différents produits de la marque et incitatives à la consommation (cigarette électroniques à pods et cigarette électronique jetable de type puff). Dans son baromètre des publicités sur les lieux de vente, le CNCT a constaté qu’en 2022, BAT est le fabricant commettant le plus d’infractions pour les produits du vapotage sur les lieux de vente : 64% des lieux de vente visités présentaient des publicités non conformes.

Cette nomination distingue British American Tobacco pour sa stratégie de contournement réglementaire en matière d’interdiction de la publicité pour les produits du vapotage sur les lieux de vente.

  • Philip Morris France pour la publicité illicite de son dispositif de tabac à chauffer IQOS

Saisi par le Comité national contre le tabagisme (CNCT), le Tribunal judiciaire de Paris a condamné Philip Morris France pour propagande et publicité en faveur du tabac pour son dispositif de tabac chauffé, l’IQOS, en décembre 2021.

L’IQOS est commercialisé en France depuis 2017 à travers une stratégie marketing très agressive, en ligne comme sur les lieux de vente, alors que la publicité en faveur du tabac, quel que soit le support, est strictement interdite. De telles promotions font partie d’une vaste stratégie de renormalisation de Philip Morris, visant à effacer son image abîmée et se positionner comme une solution à l’épidémie tabagique à travers la promotion de nouvelles alternatives supposées moins nocives. Malgré la condamnation de justice, le CNCT a constaté dans le cadre de ses observatoires que le fabricant continue ses pratiques de contournement réglementaire, en poursuivant sa stratégie illégale de publicités sur le lieu de vente.

Cette nomination distingue Philip Morris pour ses violations répétées et délibérées de la réglementation, visant à faire la promotion d’un produit pouvant mettre à mal les progrès réalisés en matière de lutte contre le tabagisme.

  • Philip Morris et sa désinformation autour de la teneur réelle de nicotine dans ses recharges de tabac à chauffer Heets

En août 2021, une étude menée par The Bureau of investigative journalism a révélé que la quantité de nicotine contenue dans les mini-cigarettes Heets de Philip Morris, destinées à être consommées dans le dispositif IQOS, était jusqu’à huit fois supérieure à celle indiquée par le fabricant. Selon l’étude, l’usager inhale deux fois plus de nicotine que ce qu’indique le fabricant. A ce jour, il n’existe aucune norme internationale pour quantifier la nicotine inhalée avec les produits du tabac chauffé. Ainsi, en plus de multiplier des déclarations erronées sur la nocivité du tabac chauffé, le fabricant trompe le consommateur sur l’addictivité de ce nouveau produit. 

Cette nomination distingue la marque Heets et son fabricant Philip Morris International pour son effort constant de désinformation à l’égard des niveaux réels d’addictivité de ces produits.

Les lauréats

Les Prix 5.3

 

Le 5.3 de l’indépendance a été décerné à madame Anaïs Widiez, Conseillère Régionale Auvergne Rhône-Alpes du groupe écologiste.

Le 5.3 de l’initiative politique et juridique a été décerné à monsieur Christophe Pallez.

Le 5.3 de l’information a été décerné à monsieur Matthew Chapman du Bureau of Investigative journalism.

Le Grand 5.3 a été décerné à monsieur Christophe Pallez. L’ensemble du jury ainsi que le CNCT renouvelle ses félicitations pour le double lauréat.

 

Les Prix mégots

Le Mégot de l’ingérence a été décerné au groupe AEF, éditeur de presse.

Le Mégot de la langue de bois a été décerné à l’éco-organisme Alcome.

Le Mégot du hors-la-loi a été décerné à Philip Morris International.

Le Mégot d’Or a été décerné à Natasha Pouget, responsable RSE de Philip Morris France. Le jury et le CNCT distinguent Natasha Pouget pour discours trompeur autour de la prétendue responsabilité sociale et environnementale du fabricant.