Les prix 5.3
Pour des politiques publiques sans tabac et sans lobbyChaque année, le tabagisme provoque la mort de 8 millions de personnes à travers le monde, dont 75 000 en France. Ces chiffres sont la conséquence de l’activité d’un secteur économique dont l’objectif est d’encourager et maintenir la prévalence d’un produit qui tue plus d’un de ses consommateurs sur deux, faisant du tabagisme une épidémie industrielle. Le rôle de l’industrie du tabac dans la diffusion et la perpétuation du tabagisme est l’une des composantes essentielles de la situation sanitaire actuelle. Ainsi, l’industrie du tabac représente l’obstacle principal à la mise en œuvre de politiques de santé publique. Les pays ont reconnu qu’il existe un conflit fondamental et inconciliable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique.
La mobilisation de tierces-parties est une composante essentielle de la stratégie d’influence de l’industrie du tabac. Ces acteurs, bénéficiant d’une image positive auprès des décideurs, permettent de conférer une crédibilité aux messages des fabricants, et ainsi de bloquer plus efficacement les politiques de santé publique.
Pourquoi cet événement ?
La Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) est un traité international de santé publique, ratifié par 183 Parties, dont la France en 2004, et qui est entré en vigueur en 2005. Il contraint les pays à adopter des mesures éprouvées de lutte contre le tabagisme. L’article 5.3 constitue l’épine dorsale de ce traité, en ce qu’il oblige les pays à la mise en place de mesures pour garantir la pleine indépendance des pouvoirs publics à l’égard de l’influence de l’industrie du tabac. La CCLAT rappelle l’existence d’un « conflit fondamental et irréconciliable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique ».
L’article 5.3 : une disposition décisive pour la santé publique
Parmi cet ensemble de mesures, la Convention-cadre prévoit une disposition relative à la protection des politiques publiques contre l’ingérence de l’industrie du tabac. L’article 5.3 de la CCLAT dispose ainsi : « En définissant et en appliquant leurs politiques de santé publique en matière de lutte antitabac, les Parties veillent à ce que ces politiques ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac, conformément à la législation nationale ». Cette disposition contraint spécifiquement les Parties à neutraliser les stratégies mobilisées directement ou indirectement par l’industrie du tabac pour influencer les politiques de santé publique, anéantir les efforts des acteurs du contrôle du tabac, et s’opposer aux mesures allant à l’encontre de ses intérêts financiers. L’article 5 .3 s’inspire en particulier d’un principe directeur clair, selon lequel il existe « un conflit fondamental et inconciliable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique ».
Première table ronde : Présentation des résultats d’études. Quelle accessibilité des produits du tabac et du vapotage chez les jeunes ?
Depuis 2003, il est interdit de vendre des produits du tabac à un mineur de moins de seize ans, et de moins de dix-huit ans depuis 2009. Dès 2006, le Comité national contre le tabagisme a mené régulièrement des enquêtes pour vérifier si cette mesure de santé publique était respectée. En 2021, les chiffres montrent des niveaux d’infraction généralisés, avec encore deux buralistes sur trois acceptant de vendre du tabac aux mineurs. En 2023, le CNCT a réalisé une double enquête pour évaluer le niveau d’accessibilité des produits du tabac, mais également du vapotage. Pour cela, une étude a été réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 500 jeunes âgés de 17 ans pour mieux connaître leurs modalités d’approvisionnement. D’autre part, une enquête client-mystère auprès de 608 débits de tabac et enseignes de vapotage, a également été menée pour vérifier le respect de l’interdiction de vente de cigarettes jetables aux mineurs.
Intervenants :
- Agnès Alvarez – Directrice d’études au sein de l’institut Audirep
- Emmanuelle Béguinot – Directrice du Comité national contre le tabagisme (CNCT)
Seconde table ronde : Comment mieux encadrer l’activité des buralistes?
En dépit des niveaux d’infraction des dispositions protectrices de la santé publique, les buralistes s’efforcent de véhiculer une image positive : celle de commerçants de proximité et d’utilité publique, partenaires de l’État et derniers lieux de convivialité dans les territoires. Cette image, élaborée dans le cadre d’une stratégie de communication dès le début des années 2000 par la Confédération des buralistes et en articulation avec les fabricants de tabac, permet à cette dernière d’asseoir son influence et sa crédibilité auprès des décideurs publics. L’industrie du tabac, dont
la réputation a été écornée par des décennies de scandale sanitaire, voit dans la Confédération des buralistes un allié puissant, plus à même d’engager un dialogue avec les pouvoirs publics, et affaiblir les politiques de lutte contre le tabagisme. À la fois préposés de l’administration et vitrine de l’industrie du tabac, les buralistes bénéficient en même temps d’un soutien considérable des pouvoirs publics dans le cadre de la diversification, et d’une incitation structurelle à la vente de tabac. Cette table ronde se penchera sur la problématique de ce double statut et la nécessité de mieux encadrer l’activité des buralistes.
Intervenants :
- Pierre Kopp – Professeur des universités (économie du droit, économie publique) à Panthéon-Sorbonne Paris I), chercheur à la Paris School of Economics (PSE), et avocat pénaliste au Barreau de Paris.
- Esmeralda Luciolli – Médecin et spécialiste en santé publique
- François Topart – Chargé d’études au CNCT
Vous trouverez ci-dessous la liste des initiatives sélectionnées dans le cadre des prix 5.3. Les prix 5.3 comportent deux grandes catégories : les prix positifs, récompensant les initiatives qui ont contribué à lutter contre l’interférence de l’industrie du tabac, et les prix négatifs, pointant du doigt les pires initiatives en matière d’ingérence.
Pour les prix positifs :
- Le 5.3 de l’indépendance : récompense une personne physique ou morale s’étant distinguée par ses bonnes pratiques en matière de lutte contre l’ingérence de l’industrie du tabac.
- Le 5.3 de l’initiative politique et juridique : récompense l’auteur d’un amendement, d’un projet ou d’une proposition de loi, mais également un défenseur du droit à la santé à travers la lutte contre le tabagisme.
- Le 5.3 de l’information : récompense un journaliste, un média, un lanceur d’alerte.
- Le Grand 5.3 : récompense le vainqueur de toutes ces catégories et sera remis par Jean-Louis Touraine.
Pour les prix négatifs :
- Le Mégot de l’ingérence : distingue à la fois les pires pratiques d’ingérence en France de la part de l’industrie du tabac, mais également des acteurs qui lui sont associés.
- Le Mégot de la langue de bois : distingue les pires pratiques relatives aux enjeux de blanchissement moral et de greenwashing.
- Le Mégot du hors-la-loi : distingue les pires contournements réglementaires.
- Le Mégot d’Or : distingue le grand vainqueur de toutes ces catégories et sera remis par Jean-Louis Touraine.
Les nominés pour les prix positifs :
Le 5.3 de l’indépendance
- Le Label ISR
Le Label Investissement Socialement Responsable, lancé en 2015 par le ministère de l’Économie et des Finances, dans un objectif d’orienter l’épargne et les investisseurs vers des placements durables, a lancé un processus de révision se soldant notamment par l’exclusion sectorielle du tabac.
- Crédit Mutuel Alliance Fédérale
En septembre 2023, le Crédit Mutuel a annoncé qu’il se désengageait, avec l’ensemble de ses filiales, de l’industrie du tabac pour leurs activités de financement et d’investissement, en raison des « nombreux effets néfastes de l’industrie tant pour l’environnement que pour la santé humaine ».
Le 5.3 de l’initiative politique et juridique
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Francesca Pasquini, Michel Lauzzana & Karl Olive
À la fin de l’année 2022, ces députés ont déposé une proposition de loi transpartisane, visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique, autant pour des motifs sanitaires qu’environnementaux. Cette proposition de loi a été adoptée en février 2024.
- Frédéric Valletoux
À la fin de l’année 2023, Frédéric Valletoux, alors député Horizons, a déposé une proposition de loi visant à lutter contre les marchés parallèles en limitant l’approvisionnement des États en tabac en fonction de la consommation intérieure réelle. Cette proposition de loi, cherchant à lancer un débat européen, pointe notamment la responsabilité de l’industrie du tabac dans le commerce transfrontalier.
- Bernard Jomier
Lors du dernier Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), le sénateur a déposé des amendements visant à modifier la fiscalité du tabac à chauffer, dans un sens favorable à la santé publique. Ces propositions, votées par le Sénat, n’ont toutefois finalement pas été retenues.
- Arnaud Bazin & le comité de déontologie du Sénat
Suite à l’interpellation du CNCT sur le manque de transparence des auditions de l’industrie du tabac par l’Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques, Arnaud Bazin a intégré les recommandations des directives d’application de l’article 5.3 de la CCLAT dans le guide de déontologie des Sénateurs, pointant la nécessité de limiter les interactions entre le décideur et l’industrie du tabac au strict nécessaire, et en toute transparence.
Le 5.3 de l’information
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Marc Dubuisson & Leslie Plée (Mâtin)
Dans le cadre d’un partenariat entre le média Mâtin ! (Instagram) et le CNCT, le dessinateur Marc Dubuisson a réalisé un strip par semaine pendant dix semaine, à compter du 31 mai 2023, date de la Journée mondiale sans tabac. Ce partenariat, ayant pour thématique « Écran de fumée », a permis de générer des dizaines de milliers de réaction sur le réseau social, et faire connaître les dégâts occasionnés par l’industrie du tabac auprès du grand public. Le partenariat avec le média pour quatre strips réalisés par la dessinatrice Leslie Plée a été renouvelé, et portait sur la thématique « Droit de mourir ».
- Simon Guichard
Fin 2023, Simon Guichard a publié une enquête rigoureusement documentée dans l’Humanité dimanche, consacrée aux marchés parallèles du tabac (« Trafic du tabac, comment les cigarettiers gardent la main »), mettant en lumière le rôle de l’industrie du tabac dans le commerce illicite de ses produits. Simon Guichard est par ailleurs particulièrement actif dans la couverture du sujet tabac, et pointe régulièrement les pratiques des fabricants en matière de marketing ou de lobbying.
- Elian Delacôte
En mars 2023, Elian Delacôte a publié une enquête sur le site Arrêt sur Images « Cigarettes et médias : le grand enfumage », consacré au traitement de la question des marchés parallèles dans la presse, et à la stratégie de désinformation de l’industrie du tabac sur le commerce illicite, via notamment la publication du rapport KPMG.
- Club Transition HEC Alumni
En octobre 2023, le Club Transition HEC Alumni a diffusé un podcast consacré à l’impact environnemental de l’industrie du tabac, réunissant Gérard Dubois, Olivier Milleron et Robert Proctor. La mobilisation du monde de l’économie et de la finance dans la dénormalisation du secteur tabac est à saluer.
Le Mégot du lobby
- Joëlle Mélin
Députée, référente santé du groupe Rassemblement national, mais également médecin généraliste, Joëlle Mélin a été au long de l’année 2023 un relais de la Confédération des buralistes à l’Assemblée nationale. La députée s’est notamment positionnée en faveur de la désindexation de la fiscalité du tabac à l’inflation, et pointe régulièrement le rôle des hausses de taxes sur les niveaux de marchés parallèles. Le journal La Lettre qualifie Joëlle Mélin de « courroie de transmission aux lobbys », dans le cadre du PLFSS.
- Caroline Fiat
Infirmière et députée référente santé du groupe la France Insoumise à l’Assemblée nationale, Caroline Fiat est également un relais régulier des amendements de la Confédération des buralistes, notamment sur les questions fiscales. La proximité de Caroline Fiat perdure depuis plusieurs années, malgré les différents courriers du CNCT et de l’Alliance contre le tabac, avertissant la députée sur l’absence de caractère factuel de l’argumentaire développé par la Confédération. sa relation avec le fabricant de tabac.
- Charles de Courson
Allié de longue date de Philip Morris France, Charles de Courson relaie depuis de nombreuses années les différents amendements de Philip Morris France, sur de nombreux sujets. En 2023, le député s’est notamment mobilisé en faveur de la désindexation de la fiscalité du tabac à l’inflation, et contre l’apposition d’avertissements sanitaires sur le tabac à chauffer. Charles de Courson a déjà été distingué dans cette catégorie.
- Thibault Bazin & Valérie Bazin-Malgras
Députés du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, Thibault Bazin et Valérie Bazin-Malgras sont très actifs au Parlement pour relayer les amendements des buralistes, notamment pour limiter la fiscalité du tabac. Selon une enquête menée par Politico, Thibault Bazin faisait partie du groupe des 10 députés déposant le plus d’amendements dits « clés en main ».
Le Mégot de la langue de bois
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L’Institut Molinari
Think tank allié de l’industrie du tabac et des secteurs controversés (phytosanitaire, énergies fossiles, etc.), l’Institut Molinari a publié au début de l’année une étude intitulée « L’innovation au service des consommateurs et de la réduction des risques ». Sans mention d’auteur, d’éventuels conflits d’intérêts, ce papier s’avère être un véritable plaidoyer en faveur des intérêts commerciaux de l’industrie du tabac. Quelques mois plus tôt, l’Institut Molinari avait également dévoilé son classement des « États moralisateurs », c’est-à-dire des pays ayant mis en place des réglementations ou une fiscalité dissuasive sur le tabac, les cigarettes électroniques, l’alcool, les aliments ou les boissons sucrées.
- Daniel Bruquel
Chef du service de prévention du commerce illicite chez Philip Morris France, Daniel Bruquel prend régulièrement la parole dans les médias pour alerter sur l’ « explosion » du commerce illicite, et notamment de la contrefaçon. S’appuyant sur le rapport KPMG, intégralement financé par Philip Morris, et démontré comme étant une source de désinformation, les interventions de Bruquel visent avant tout à dénoncer les politiques de santé publique, responsables selon lui de la hausse de la contrefaçon.
- Romain Laroche
Le directeur général de la Seita s’est longuement exprimé au micro de RTL pour dénoncer la hausse du commerce illicite et de la contrefaçon, résultant selon lui de « l’échec de la hausse du prix du paquet ». Sans surprise, aucune mention n’a été faite sur l’implication d’Imperial Brands, dont la Seita est une filiale, dans la contrebande en Afrique de l’Ouest. Romain Laroche a par ailleurs profité de cette intervention pour mentionner la nécessité « d’informer sur les alternatives moins nocives ».
Le Mégot du hors-la-loi
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British American Tobacco (VELO & Vuse)
En France, la marque VELO est commercialisée en toute illégalité, notamment par le réseau des buralistes, et fait l’objet d’une campagne publicitaire agressive dans les lieux de vente, en violation de la réglementation. Par ailleurs, depuis environ deux ans, British American Tobacco développe une campagne publicitaire importante sur les lieux de vente visant à faire la promotion de ses produits du vapotage. Cet effort publicitaire passe par la démultiplication d’écrans animés, ou par des vitrines lumineuses, mettant à disposition des cigarettes électroniques et les sachets de nicotine VELO.
- Jwell (Xbar)
En janvier 2024, la société Jwell, éditrice du site internet « x-bar.co », a été condamnée en référé par le tribunal judiciaire de Paris, pour des faits de publicité illicite en faveur du vapotage. Cette action avait été initiée par le CNCT, ayant constaté de nombreuses actions promotionnelles ciblant spécifiquement un public jeune sur le site internet x-bar.co et sur les comptes Facebook, Instagram et TikTok associés.
- Philip Morris France (Heets)
Alors que la transposition de la directive européenne impose l’apposition d’avertissements sanitaires sur les paquets de tabac à chauffer, Philip Morris France s’est opposé à cette mesure, par un lobbying auprès des parlementaires, mais également en insérant dans les paquets des messages avertissant le fumeur que la nature du produit n’a « pas changé », et sur le caractère trompeur de cette nouvelle réglementation.
Les lauréats
Les Prix 5.3
Le 5.3 de l’indépendance a été décerné au Crédit Mutuel Alliance Fédérale
Le 5.3 de l’initiative politique et juridique a été décerné à Francesca Pasquini, Michel Lauzzana & Karl Olive. L’ensemble du jury ainsi que le CNCT remercient ces députés pour leur travail et leur proposition de loi visant à interdire les puffs, mesure essentielle pour protéger les plus jeunes de l’addiction à la nicotine.
Le 5.3 de l’information a été décerné à Simon Guichard. L’ensemble du jury ainsi que le CNCT remercie Monsieur Guichard pour la qualité de son travail d’investigation et sur son travail au long cours dans la couverture du sujet tabac
Le Grand 5.3 a été décerné à Francesca Pasquini, Michel Lauzzana & Karl Olive. L’ensemble du jury ainsi que le CNCT renouvelle ses félicitations pour ls doubles lauréats.
Les Prix mégots
Le Mégot du lobby a été décerné à la député Joëlle Mélin.
Le Mégot de la langue de bois a été décerné à l’Institut Molinari.
Le Mégot du hors-la-loi a été décerné à British American Tobacco France.
Le Mégot d’Or a été décerné à British American Tobacco France. Le jury et le CNCT distingue le fabricant pour sa campagne publicitaire importante et illicite sur les lieux de vente visant à maintenir l’épidémie nicotinique.