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mardi 14 septembre 2021
Le billet du Pr Martinet. Rapport KPMG : en finir avec l’opération de désinformation des cigarettiers

Le billet du Pr Martinet. Rapport KPMG : en finir avec l’opération de désinformation des cigarettiers

Chaque année, le cabinet de conseil KPMG, mandaté par l’industrie du tabac, publie les résultats d’une étude visant à mesurer l’ampleur des marchés parallèles dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. Bien que dépourvus de toute validité scientifique, les chiffres présentés dans le rapport sont régulièrement repris sans distance par une grande partie de la presse nationale faisant de l’étude KPMG un véritable marronnier journalistique, et un puissant outil d’influence au service de l’industrie du tabac.  

Un outil de lobbying contre les politiques de santé

Il est urgent que le rapport de KPMG cesse d’être considéré comme une référence dans la compréhension des marchés parallèles en France et en Union européenne. En la matière, le cabinet est décrié par la littérature scientifique pour le manque de crédibilité de son rapport, notamment financé par Philip Morris International. En particulier, la recherche pointe l’absence de transparence méthodologique et de validation externe, qui se traduit par une surestimation de l’ampleur du commerce illicite en général, et de la contrefaçon en particulier. Le manque de sérieux des chiffres avancés est admis à demi-mots par l’entreprise elle-même, qui indique à chaque rapport ne pas avoir « cherché à établir la fiabilité des sources d’information ».

Tous les ans, le rapport publié par KPMG fournit une caution scientifique au discours alarmiste laissant croire à une hausse constante des marchés parallèles, de la contrebande, et des réseaux de contrefaçon. La surestimation permanente de la réalité des marchés parallèles vise à un objectif précis : dissuader les pouvoirs publics d’entreprendre toute forme de réglementation, à commencer par les hausses de taxes sur le tabac, accusées de favoriser les achats hors réseau. Cette stratégie de sape de la santé publique est une constante de l’industrie du tabac et de ses alliés. En 2004 déjà, à la suite du Premier Plan Cancer, la Confédération des Buralistes multipliait les interventions dans les médias pour dénoncer « l’explosion de la contrebande ».

2021 ne fait pas exception à la règle : dans sa dernière édition, KPMG fait état d’une hausse de près de 64% du commerce illicite et de la contrefaçon pour l’année 2020, correspondant désormais à 23,1% de la consommation nationale. Ce chiffre n’intègre pas les achats non domestiques légaux (achats légaux transfrontaliers ou à l’étranger), estimés par le cabinet à 7,26% de la consommation intérieure. Selon KPMG, cette augmentation du marché illégal s’explique en grande partie par l’explosion de la contrefaçon, en hausse de 609% par rapport à 2019. Ces chiffres ne correspondent à aucune réalité. Les études indépendantes menées sur le sujet estiment que, grâce au bon contrôle de la chaîne d’approvisionnement, le commerce illicite en France demeure stable, et se situe entre 5 et 6% de la consommation nationale.

Le mythe de la contrefaçon entretenu par l’industrie du tabac

Pour KPMG, 11,76% des cigarettes consommées par les Français en 2020 étaient des cigarettes contrefaites. En réalité, tout semble indiquer l’extravagance d’un tel chiffre. Selon une propre étude interne de l’industrie du tabac, la contrefaçon se situe à des niveaux résiduels (0,1%), pour une raison simple : en France comme ailleurs, la contrefaçon des produits du tabac est dans les faits difficile à réaliser, puisqu’elle nécessite l’achat de machines, de grandes quantités de tabac et d’ingrédients (feuilles, filtres, cartons), qui attire l’attention des autorités publiques quand il n’est pas réalisé par les fabricants établis.

La surestimation de la contrefaçon a un intérêt très fort pour les cigarettiers. D’abord, elle permet de minimiser la responsabilité de l’industrie du tabac dans le commerce illicite. Ensuite, la contrefaçon permet aux cigarettiers de se faire valoir comme les victimes du commerce illicite, alors qu’ils en sont les premiers bénéficiaires. Enfin, les cigarettes de contrefaçon, accusées par l’industrie du tabac d’être plus nocives, permet à cette dernière de laisser croire que leurs produits seraient moins dangereux, ou d’une qualité supérieure, quand ils sont à l’origine de 75 000 décès par an en France.

Lutte contre le commerce illicite : l’industrie du tabac disqualifiée

L’industrie du tabac a été poursuivie à plusieurs reprises pour son implication dans l’organisation et la facilitation du commerce illicite international. Pour éviter les poursuites, Philip Morris International a signé un accord de coopération anti-contrefaçon et anti-contrebande avec la Commission européenne en 2004. Dans le cadre de cet accord, le cigarettier a mandaté KPMG pour conduire son étude annuelle sur les marchés légaux et illégaux.

Parallèlement à ses déclarations de bonnes intentions, l’industrie du tabac s’est systématiquement opposée à l’application du Protocole de l’Organisation mondiale de la santé pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac. Pour cause : les cigarettiers en sont les principaux bénéficiaires. On estime ainsi que 98% des cigarettes illicites consommées dans le monde sont issues des usines des fabricants. Par ailleurs, tout semble indiquer que les cigarettiers continuent d’organiser et faciliter le commerce illicite international. Une investigation journalistique menée en début d’année par l’OCCRP montrait que Philip Morris et Imperial Brands sur-approvisionnent délibérément les marchés d’Afrique de l’Ouest, sachant qu’une grande partie de ces stocks finiront dans les réseaux de contrebande de cigarettes, source majeure de financement des milices ethniques, des groupes armés et djihadistes, contribuant massivement à la déstabilisation de la région.

Lutter contre le commerce illicite : quelles possibilités ? 

Contester la scientificité et la fiabilité des chiffres publiés par KPMG ne signifie pas pour autant nier la réalité et la gravité du commerce illicite. Il est en effet indispensable que ce dernier soit appréhendé comme un enjeu de premier ordre par les pouvoirs publics. La circulation de produits du tabac moins chers constitue d’abord un fléau sanitaire qu’il est urgent de combattre. L’absence de fiscalité appliquée sur des produits illégaux provoque ensuite un manque à gagner fiscal important, quand le tabagisme demeure un fardeau économique majeur pour les pouvoirs publics. Enfin, en bénéficiant à la criminalité organisée, le commerce illicite est une menace sécuritaire mondiale.

Dans cette optique, et compte tenu des faits énoncés, le CNCT pointe l’urgence d’engager une lutte contre les marchés parallèles et le commerce illicite pleinement indépendante de l’industrie du tabac, conformément aux engagements internationaux pris par la France. En particulier, le CNCT appelle les pouvoirs publics à :

  • Mandater une structure indépendante pour réaliser une étude chiffrée de la réalité du commerce illicite, et dont la méthodologie de surveillance doit être rendue publique ;
  • Appliquer pleinement le Protocole de l’OMS en instaurant un système de traçabilité des produits du tabac qui soit rigoureusement indépendant des cigarettiers. En particulier, cette disposition passe par la révision de l’article 15 de la Directive européenne des produits du tabac de 2014 (TPD), qui permet à l’industrie de choisir elle-même les entreprises destinées à recueillir les données sur le stockage et les mouvements des produits du tabac, ou encore de choisir les auditeurs externes mandatés pour les contrôler;
  • Communiquer les données actuelles de traçabilité pour établir la réalité du sur-approvisionnement des marchés transfrontaliers par les fabricants;
  • En application des dispositions du protocole de lutte contre le commerce illicite des produits du tabac ratifié par la France et l’Union européenne, instaurer des quotas d’approvisionnement correspondant à la consommation intérieure réelle, afin d’empêcher l’industrie du tabac de sur-approvisionner les régions frontalières.

 

Pour aller plus loin, lire notre plaidoyer Lutter contre le commerce illicite et les marchés parallèles

 

Crédit photo : ©Vincent Isore/IP3 PRESS/MAXPPP

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