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lundi 10 janvier 2011
Loi Evin : Le Bilan de 20 années

Loi Evin : Le Bilan de 20 années

5. Questions à ...

Claude EVIN, ancien Ministre de la Santé :

1. Pourquoi vous êtes-vous engagé dans la lutte contre le tabagisme ?  

 « J’étais Ministre de la Santé à l’époque et l’une des missions d’un Ministre de la Santé, c’est d’améliorer la santé de ses concitoyens.

Or le tabac représente 60 000 décès annuels prématurés et on se dit qu’on ne peut pas rester inactif et c’est ce qui a motivé mon engagement.

Par ailleurs, un dialogue s’était établi avec des professeurs de santé publique qui avaient engagé un débat.  Mais c’était de ma responsabilité de ministre de prendre des mesures pour réduire la consommation de tabac et les effets de cette consommation.

J’ai essayé de faire correctement mon métier de ministre ».

 

2. Quelles sont les principales difficultés que vous avez dû surmonter pour faire adopter et appliquer votre loi et quel regard portez vous aujourd’hui sur celle-ci ?

« Cette loi comportait deux volets tabac et alcool et celui concernant le tabac n’a pas suscité énormément de difficultés. Du reste la loi n’a pas changé en ce qui concerne la dimension tabac ce qui montre la solidité du texte présenté.

Les difficultés n’ont donc pas été dans l’adoption mais dans l’application du texte.

Pour la partie relative à l’interdiction de la publicité, l’industrie du tabac a essayé de biaiser la loi et a fini par comprendre, (même si elle est condamnée chaque année par les tribunaux pour des violations).

En revanche, la partie sur l’interdiction de fumer avec le décret de 1992  a été problématique car le décret n’a pas été bien bordé juridiquement. On a vécu trop longtemps dans des lieux de travail, des bars, restaurants enfumés et je l’ai beaucoup regretté. Le décret de 2006 a permis d’être plus clair, mais il existe toujours un problème d’application avec des terrasses transformées en fumoirs et des corps de contrôle, qui ne sont pas investis. Ceci est une préoccupation pour moi ».

 

Yves MARTINET, Chef du service de Pneumologie au CHU de Nancy, Président du CNCT et de l'Alliance contre le Tabac

1. Pourquoi vous êtes vous engagé dans la lutte contre le tabagisme ? 

« Ma profession de médecin pneumologue m’a amené à prendre en charge des patients présentant un cancer du poumon. Le pronostic de ce cancer était et reste médiocre, avec une survie à 5 ans de l’ordre de 10%. Comme au moins 90% des cancers du poumon sont liés à la consommation de tabac, je me suis intéressé, dans un premier temps, au traitement de la dépendance au tabac. Compte tenu de l’efficacité limitée de ce traitement, il m’est alors paru souhaitable de m’impliquer dans la prévention du tabac, c’est-à-dire le contrôle du tabac ».

2. Quelles sont les principales difficultés que vous avez dû surmonter pour faire adopter et appliquer la loi Evin ? 

« Je ne suis intervenu que dans la réflexion et les travaux qui ont concouru à la rédaction du décret Bertrand et à sa mise en œuvre. Les difficultés ont été de deux natures, d’une part, harmoniser les propositions des différents acteurs du contrôle du tabac et, d’autre part, démonter les arguments des adversaires à la mise en œuvre d’une politique efficace d’interdiction de fumer dans les lieux publics. »

 

3. Quel regard portez-vous sur cette loi aujourd'hui (dans son versant tabac) aussi bien au niveau de la France qu'au niveau international ?

« Cette loi est une bonne loi, à défaut d’être la meilleure loi. Compte tenu de la négligence actuelle par le législatif et l’exécutif de la mise en œuvre de la convention cadre pour la lutte anti-tabac de l’OMS, et en particulier, de l’article 5.3, il me semble souhaitable de ne pas revenir sur cette loi; les attaques récentes et répétées contre cette loi me semblent un motif suffisant pour ne pas bouger, du moins actuellement.»

 

Gérard DUBOIS, Professeur de santé publique à l'Université de Picardie. Président d'honneur du CNCT (2003) et de l'Alliance contre le Tabac (2007)

1. Pourquoi vous êtes-vous engagé dans la lutte contre le tabagisme ?

« Claude Got et moi étions membres du Haut Comité d'Études et d'Information sur l'Alcoolisme auprès du Premier ministre.  En une semaine, en 1987, par une action médiatisée intense, nous avons obtenu le rétablissement de l'interdiction de la publicité pour les boissons alcoolisées à la télévision. L'idée a été d'étendre ensuite les interrogations à d'autres facteurs pour interroger les candidats à la présidence de la République. Le groupe des Cinq Sages (avec Albert Hirsch, François Grémy et Maurice Tubiana) s'est constitué avec un slogan simple: tabac, alcool, vitesse = 100 000 morts. Après la réélection de François Mitterrand, Claude Evin (ministre des affaires sociales en charge de la santé) nous demande un rapport sur la santé publique qui donnera la loi Evin et le Haut Comité de Santé Publique. En 1993, pour succéder à Albert Hirsch, je suis sollicité par Jean Tostain pour présider le CNCT, ce que j'accepte. Je passais ainsi de l'alcool au tabac. »

2. Quelles sont les principales difficultés que vous avez dû surmonter pour faire adopter et appliquer la loi Evin ?

« Clause Evin était convaincu par les propositions de notre rapport sur la santé publique, mais ni le reste du gouvernement ni le Premier ministre, Michel Rocard. Claude Evin nous a demandé d'essayer de convaincre le reste du gouvernement, ce à quoi nous nous sommes employés sans succès pendant quelques mois. Nous avons alors repris notre liberté de parole et montré par un sondage que nos propositions étaient soutenues par au moins 2/3 des Français, ce qui a convaincu le Premier ministre d'aller de l'avant ("Les médecins ont gagné" dit-il). Ensuite, l'action a été politique et médiatique. Prendre à témoin les Français a été la méthode, certes nouvelle en santé publique, mais efficace pour faire passer la loi Evin, votée par 2/3 de l'Assemblée Nationale. Le nombre d'articles, de rencontres a été considérable. Le fait d'être 5 a permis une permanence d'au moins 2 ou 3 d'entre nous. Nos opinions politiques différentes ne permettaient pas de nous classer à droite ou à gauche, et donc de nous soupçonner de travailler en faveur d'un camp ou d'un autre. »

3. Quel regard portez-vous sur cette loi aujourd'hui (dans son versant tabac) aussi bien au niveau de la France qu'au niveau international ?

« La loi Evin était une loi complète, un modèle en avance sur son temps, élaborée à la lumière des comportements de l'industrie du tabac pour contourner la loi Veil de 1976. Notre expérience dans le domaine de l'alcool nous permettait aussi de connaître les limites de l'auto-discipline industrielle. Elle a été heureusement complétée par le décret de 2006 sur le tabagisme passif. Il aurait été impossible d'aller aussi loin en 1991 car nous n'avions pas alors les connaissances scientifiques suffisantes pour l'obtenir.

La courbe des ventes de tabac en France montre que l'augmentation dissuasive et répétée des prix par augmentation des taxes est essentielle. Depuis cinq ans, la complicité, voire même la collaboration du gouvernement avec l'industrie du tabac, nous met dans une situation d'échec. Les ventes ne baissent plus depuis 2005, les cigarettiers s'enrichissent, les Français meurent. Pour chaque million de cigarettes vendues, un fumeur décède. »

 

Albert HIRSCH,  Ancien Chef de service de Pneumologie de l’Hôpital St Louis, ancien Président du Comité National Contre le Tabagisme, ancien Vice-Président de la Ligue Nationale Contre le Cancer, Vice-Président de l’Alliance Contre le Tabac

1. Pourquoi vous êtes-vous engagé dans la lutte contre le tabagisme ?

« Responsable du service de pneumologie de l’hôpital Saint-Louis, ce service recrutait les malades du tabac (cancer du poumon et bronchite chronique), et compte tenu des résultats thérapeutiques modestes, la lutte contre le premier facteur causal de ces maladies  m’est apparue essentielle.

En 1986, le DGS de l’époque ( JF Girard) m’a demandé de rédiger pour le ministère  un rapport sur la lutte contre le tabac paru à la Documentation française en 1987, et qui a servi , entre autres , de trame à la loi Evin. »

2. Quelles sont les principales difficultés que vous avez dû surmonter pour faire adopter et appliquer la loi Evin ? 

« Au début, le milieu médical (celui des pneumologues et celui de la santé publique) était peu sensibilisé à la prévention primaire (peu ouvert à l’international) et réticent, puis ce fut les connivences de l’industrie et des médias avec le gouvernement, qui s’est ressaisi ( plan cancer 1) pour à nouveau se compromettre ( plan cancer 2). Conclusion : obstination ! »

3. Quel regard portez-vous sur cette loi aujourd'hui (dans son versant tabac) aussi bien au niveau de la France qu'au niveau international ? 

« En France, l’absence de volonté du gouvernement , cadrant tout à fait avec l’orientation politique purement dans la défense d’intérêts économiques privés plutôt que la défenses de nos intérêts économiques communs qui devraient être ceux de notre société puisque ces maladies vont peser sur le budget de l’assurance maladie et donc continuer à fragiliser notre protection sociale…

Ceci se fait donc au détriment des valeurs sociales et démocratiques, au niveau global prédominance des intérêts économiques dans le cadre de la mondialisation ciblant les pays émergents qui constituent une formidable réserve de marché pour une industrie qui ne connaît pas de frontière et qui n’a qu’un objectif, servir ses actionnaires. Cela avec une faillite des institutions internationales (compétition au sein des NU entre l’OMS et l’OMC, infiltration par l’industrie de l’UE…).Résultat : accentuation des inégalités sociales de santé. »

 

Francis CABALLERO, Avocat à la Cour, Professeur agrégé de droit, Avocat du CNCT  

1. Pourquoi vous êtes-vous engagé dans la lutte contre le tabagisme ?

« Indépendamment du fait que je n'ai jamais fumé, que je déteste le tabac, l'odeur du tabac et le goût du tabac dans la bouche des jeunes filles de bonne famille, je me suis engagé dans la lutte contre le tabagisme à la fois comme universitaire et comme avocat. Comme universitaire auteur d'un "Droit de la drogue", j'ai été frappé par le laxisme du régime juridique du tabac, subventionné et encouragé par les pouvoirs publics, alors qu'il s'agit d'une drogue dure, addictive et cancérigène. Comme avocat, je suis devenu le conseil du CNCT en 1991 au lendemain de la loi Evin, ce qui m'a permis d'être en première ligne du combat judiciaire contre l'industrie du tabac qui la viole en permanence. »

2. Quelles sont les principales difficultés que vous avez dû surmonter pour faire adopter et appliquer la loi Evin ? 

« Je n'ai pas fait adopter la loi Evin, même si j'en approuve totalement la logique sanitaire. En  revanche je l'ai fait appliquer dans pratiquement toutes ses dispositions en faisant condamner les industriels du tabac et leurs complices pour des publicités directes et indirectes en faveur du tabac (Camel boots, Marlboro Classics, Peter Stuyvesant travel..), des parrainages de compétitions sportives (F 1, Paris Dakar...), des avertissements sanitaires irréguliers, des cadeaux sur les lieux de vente, des paquets "fun", des paquets transformés en supports publicitaires, des paquets "bonbon", de la vente aux mineurs de moins de seize ans, etc... »

3. Quel regard portez-vous sur cette loi aujourd'hui (dans son versant tabac) aussi bien au niveau de la France qu'au niveau international ? 

« Je tiens d'abord à rendre hommage à Claude Evin, un homme politique courageux et honnête qui a réussi  à faire adopter un texte difficile à l'unanimité. La loi  Evin est donc un texte remarquable aussi bien au niveau national qu'international. Elle a notamment permis au CNCT de faire interdire en référé la vente de produits du tabac irréguliers, sans doute une première mondiale. Elle est cependant perfectible comme toutes les lois : la vente aux mineurs devrait être érigée en délit et non pas rester une contravention de la troisième classe, et les additifs figurant dans les produits du tabac devraient être précisés sur le paquet. »

 

Crédits photos :

20minutes.fr
france5.fr
mondial-infos.fr

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