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L’industrie du tabac continue de saper la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac

L’industrie du tabac continue de saper la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac

Le protocole de lutte contre le commerce illicite des produits du tabac a été négocié par les Parties du traité international de l’OMS, la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac.

L’objectif de ce protocole est l’élimination de toutes les formes de commerce illicite des produits du tabac. Dans ce contexte, le  commerce illicite des produits du tabac désigne toute pratique ou conduite liée à la production, à l’expédition, à la réception, à la possession, à la distribution, à la vente ou à l’achat de produits du tabac interdite par la loi, c’est-à-dire la fabrication illégale, la contrebande, la contrefaçon de produits du tabac. Le Protocole porte principalement sur la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement des produits du tabac grâce à un système mondial de suivi et de traçabilité dans lequel une marque d’identification unique sécurisée est apposée sur les paquets de cigarettes et autres produits du tabac. Ce système permet d’enregistrer les mouvements du produit depuis sa fabrication jusqu’à la livraison ultime associé au paiement de taxes et il permet donc déterminer quel a été le cheminement du produit et quelle est sa destination.

L’existence de ce Protocole résulte du constat fait par les pays de l’existence de marchés parallèles mettant à mal leurs politiques de santé pour réduire la consommation, marchés parallèles pour lesquels l’implication de l’industrie du tabac était majeure.

L’industrie du tabac bénéficie de la contrebande de la façon suivante: 

– Les compagnies de tabac tirent un bénéfice du produit vendu, que ce soit en contrebande ou non. En effet, ils sont payés lorsqu’ils vendent au distributeur, que le produit entre ou non dans le canal légal ou illégal.

– La baisse du prix moyen du marché due à la contrebande décourage l’arrêt du tabac et augmente les ventes totales, en particulier les ventes parmi les principaux objectifs de l’industrie – les jeunes et les populations moins aisées.

– Les ventes illégales sapent les mesures de contrôle du tabac, notamment les hausses de taxes mais également les lois sur les conditionnements, et les restrictions d’âge sur les ventes.

– L’industrie utilise la contrebande pour réclamer une réduction des taxes, induisant une augmentation des ventes et de la consommation et une perte de revenus pour les pays.

– L’industrie utilise la contrebande pour s’opposer aux politiques de lutte antitabac, affirmant que toute politique augmentera la contrebande de tabac (malgré leur participation documentée).

– L’industrie utilise la contrebande comme une stratégie d’entrée sur les marchés où les importations sont restreintes ou les prix sont élevés

Une nouvelle étude publiée dans Tobacco Control[1] analyse les efforts déployés par l’industrie du tabac pour contrer l’adoption du protocole  et les systèmes de suivi et de traçabilité des pays prévus. L’étude s’appuie sur une analyse des documents internes de l’industrie du tabac,  des données accessibles au public provenant de l’Organisation mondiale des douanes, d’analystes de l’industrie, des gouvernements, des dépôts de marques et de brevets et des enquêtes concernant des groupes de pression travaillant pour les fabricants.

Principales constatations de l’étude

  • Les marchés «parallèles» sont intégrés dans les stratégies marketing des fabricants à un niveau global, régional, national et local :

v  Les cigarettes fabriquées par les multinationales du tabac représentent environ 60 à 70 % du marché illicite des cigarettes.

v  Les industries du tabac ont une longue histoire de complicité dans la contrebande du tabac : Au cours des années 1990, des documents accablants provenant des documents de l’industrie du tabac ont détaillé leur implication dans la contrebande de cigarettes à l’échelle mondiale. Le volume était sans précédent – un tiers des exportations mondiales de cigarettes étaient censées se retrouver sur le marché illicite, les industries du tabac approvisionnant presque exclusivement certains marchés via des canaux illicites

  • La technologie Codentify a été initialement développée et brevetée par Philip Morris International (PMI). Des documents de l’industrie du tabac ont révélé qu’en 2010, PMI a concédé gratuitement le brevet à ses principaux concurrents, British American Tobacco (BAT), Japan Tobacco International (JTI) et Imperial Tobacco. Le cartel à travers le groupe de travail panindustriel, the Digital Coding and Tracking Association (DCTA),  a alors fait la promotion auprès des gouvernements de ce système comme une alternative à l’utilisation de régimes fiscaux améliorés, qui constituent un élément clé de systèmes de suivi et de traçabilité solides.

v  Les multinationales du tabac ont eu recours à des groupes de pression et à des tiers pour promouvoir Codentify© : Par exemple, The Digital Coding and Tracking Association (DCTA) qui est un groupe de façade lancé en 2013 par les quatre multinationales du tabac: British American Tobacco (BAT), Imperial Tobacco, Japan Tobacco International (JTI) et Philip Morris International (PMI) et ont plaidé pour que Codentify soit utilisé comme norme internationalement reconnue pour le suivi et le traçage des produits du tabac.

v  Certains des groupes de pression qui ont fait la promotion de Codentify© ont affirmé être indépendants de l’industrie du tabac, bien qu’ils aient des liens évidents avec elle.

v  La DCTA a annoncé avoir vendu Codentify à une société dénommée Inexto, une filiale du groupe français Impala, pour seulement un franc suisse. Les liens d’Inexto avec PMI sont clairs. Son directeur général est Philippe Chatelain, ancien directeur du suivi des produits et de la sécurité chez PMI depuis 14 ans.

  • Les documents tirés de la British American Tobacco indiquent que la société a payé des informateurs pour obtenir des données sur ses concurrents en Afrique suggérant que ces derniers faisaient la contrebande. Ces données ont ensuite été utilisées pour gagner la confiance des autorités fiscales dans le but de détourner l’attention sur leurs propres actions.
  • L’industrie du tabac s’est engagée dans un certain nombre d’activités qui visent à influer sur l’élaboration de règlements concernant le commerce illicite : conférences, formation, recherche et financement d’organisations internationales de forces de police et de lutte contre la corruption.

v  Ces activités de l’industrie du tabac lui permettent de faire relayer par des tiers ses positions

v  Dans le cadre de négociations ou d’élaboration de textes visant à lutter contre le commerce illicite des produits du tabac

Les éléments à retenir :

  • Le Protocole sur le commerce illicite de la Convention-cadre pour la lutte antitabac vise, entre autres, à sécuriser la chaîne d’approvisionnement en produits du tabac fabriqués légalement au moyen d’un système mondial de suivi et de traçabilité. Compte tenu de l’implication historique de l’industrie du tabac  dans la contrebande de cigarettes, le protocole stipule que toutes les opérations liées au suivi et à la traçabilité des produits du tabac ne soient « ni remplies ni déléguées » aux fabricants de tabac.  Les gouvernements doivent donc présumer que l’industrie du tabac cherche à avoir la mainmise sur les systèmes de suivi et de traçabilité afin d’éviter tout examen minutieux et de réduire au minimum les paiements des droits d’accises.
  • Tout système de suivi et de traçabilité basé sur Codentify©, sur la propriété intellectuelle appartenant ou ayant appartenu à l’industrie du tabac, ou promu ou mis en œuvre par des entreprises ayant des liens avec l’industrie du tabac est incompatible avec le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac (CIP) et n’aiderait donc pas à réduire le commerce illicite.
  • La lutte contre le commerce illicite du tabac peut être portée par une administration fiscale forte qui comprend des régimes fiscaux améliorés, une coopération internationale des acteurs concernés, une forte implication des douanes et des sanctions sévères à l’encontre des contrevenants.

[1] Gilmore AB, Gallagher AWA, Rowell A. Tentatives élaborées de l’industrie du tabac pour avoir la mainmise sur le système mondial de suivi et de traçabilité et saper fondamentalement le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac. Tobacco Control.  Publié en ligne pour la première fois le : 14 juin 2018. L’étude [uniquement en anglais] est disponible sur le site : http://tobaccocontrol.bmj.com/content/early/2018/06/13/tobaccocontrol-2017-054191.altmetrics

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