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Le tabac «chauffé», cheval de Troie de l’industrie du tabac

Le tabac «chauffé», cheval de Troie de l’industrie du tabac

L’offensive des cigarettiers sur le tabac «chauffé» inquiète les tabacologues. Alors que l’European respiratory society (ERS) a lancé l’alerte lors de son dernier congrès (lequotidiendumedecin.fr le 14/09/2018), le Comité national contre le tabagisme (CNCT) attire l’attention sur les risques pour la santé que représente la promotion de ce produit comme un prétendu moyen de réduction des risques. Dans la Tribune qui suit, quatre responsables du CNCT recommandent que le tabac « chauffé » soit soumis à la même législation que les cigarettes.

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L’industrie du tabac fait face à un marché de la cigarette déclinant du fait de la meilleure connaissance par la population de ses risques majeurs pour la santé et grâce à la mise en œuvre de mesures collectives efficaces contre sa consommation. Pour survivre à moyen terme, cette industrie a opté pour la commercialisation de « nouveaux » produits et essaie de convaincre leurs potentiels consommateurs qu’ils seraient bien moins dangereux que la cigarette. L’industrie du tabac dispose des méthodes d’influence nécessaires pour réaliser cette manœuvre, qui ressemble à ce qu’elle a déjà fait dans le passé, notamment en présentant trompeusement d’abord le filtre (années 1960) et ensuite les cigarettes dites « légères » (années 1970) comme des alternatives à risque réduit par rapport à la cigarette alors en vigueur. On sait maintenant ce qu’il en est : ni l’une ni l’autre de ces alternatives n’a tenu ses « promesses ». Elles ont au contraire toutes deux contribué – et de façon majeure – à l’aggravation du problème de santé publique provoqué par le tabagisme.

On a notamment pu observer que sur le long terme elles ne réduisaient pas le risque, mais au contraire l’amplifiaient. La consommation de cigarettes dites « légères » a par exemple donné lieu à l’explosion de l’incidence d’une forme de cancer du poumon particulièrement agressive, l’adénocarcinome. D’autre part, elles ont contribué à ouvrir le marché du tabac à de nouveaux consommateurs, notamment chez les femmes et les adolescents.

Réduction des risques ? Pas du tout

La réduction des risques en addictologie a pour objectif principal de permettre aux usagers dépendants d’un produit psychoactif de le consommer en minimisant les dommages liés à sa consommation. Elle s’adresse à une population de consommateurs établis et ne concerne pas la prévention de l’initiation à la consommation du produit. Aussi, si une stratégie de réduction des risques peut être bénéfique pour le consommateur d’un produit addictif, elle ne l’est pas forcément pour prévenir la diffusion de son usage à l’ensemble de la population.

Différentes approches sont possibles : pour l’héroïne, l’amélioration de l’hygiène du mode d’administration, pour l’alcool, la réduction de la quantité consommée, et pour la nicotine, le passage aux cigarettes électroniques dont l’usage exclusif, c’est- à-dire avec arrêt complet du tabac fumé, se traduit par une réduction des risques encore difficile à quantifier de façon formelle, en l’absence d’études sur le long terme. Les substituts nicotiniques n’entrent pas dans la stratégie de réduction des risques puisque leur objectif est l’arrêt complet de la consommation de nicotine.

Pour assurer ses profits et pérenniser sa clientèle, ce qui implique notamment de remplacer les fumeurs qui décèdent et ceux qui arrêtent de fumer, l’industrie du tabac doit rendre un maximum d’adolescents dépendants du tabac (la consommation de tabac étant rarement débutée à l’âge adulte) et les transformer ainsi en clients captifs. L’offre doit donc être modifiée afin, à la fois, de convaincre les fumeurs du moindre risque lié à la consommation de ces nouveaux produits du tabac et, en même temps, de rendre ces produits attractifs pour un public jeune et vulnérable, tout en faisant en sorte que la consommation de tabac redevienne une norme sociétale.

Courtes cigarettes mais niveau élevé de substances toxiques

Le tabac dit « chauffé » est le fer de lance de cette stratégie. Sa consommation repose sur la vente d’un dispositif électronique qui permet au consommateur d’inhaler un aérosol contenant un mélange de fumée et de vapeur produit par du tabac présent dans une courte cigarette (appelée stick par le fabricant) chauffée par une résistance à quelques centaines de degrés. L’industrie du tabac déclare avec insistance que le tabac de ces nouveaux produits est « chauffé », et non « brûlé » comme l’est le tabac d’une cigarette lorsque celle-ci est fumée. Or, lors de la consommation de ces courtes cigarettes, il se produit une combustion incomplète (ou pyrolyse) qui occasionne la formation de composés chimiques nocifs, tels que goudrons et monoxyde de carbone. Toutes les recherches indépendantes de celles de l’industrie du tabac démontrent la production par le tabac « chauffé » de substances toxiques à des taux élevés.

D’autre part, l’industrie du tabac minimise les expositions passives potentielles afin de renormaliser la consommation de tabac dans les lieux où elle est actuellement interdite.

Les « nouveaux produits du tabac », un régime à part

Les courtes cigarettes du tabac « chauffé » sont actuellement classées par les autorités françaises parmi « les nouveaux produits du tabac » (par opposition notamment aux cigarettes traditionnelles), ce qui a des conséquences concernant :

  • Le conditionnement : la loi du 26 janvier 2016 à l’origine du paquet neutre ne s’applique pas aux paquets de courtes cigarettes, qui sont vendus avec des emballages séduisants visant à donner une image de pureté/santé, avec apposition du strict minimum d’avertissements sanitaires ;
  • La fiscalité : les courtes cigarettes de tabac « chauffé » sont moins taxées que les cigarettes traditionnelles, alors qu’un paquet de 20 courtes cigarettes est vendu à un prix proche de celui d’un paquet de cigarettes traditionnelles, la différence de taxation permettant aux compagnies de tabac d’augmenter leurs profits au détriment des caisses de l’État ;
  • Les conséquences sanitaires : le message mensonger de réduction des risques induit en erreur les fumeurs actuels soucieux de leur santé et les

La promotion du tabac « chauffé » s’inscrit dans une opération mondiale de relations publiques orchestrée par l’industrie du tabac, qui tente de se construire une nouvelle virginité tout en jetant – comme à son habitude – l’anathème sur les défenseurs de la santé publique, en les traitant de jusqu’au-boutistes qui ne prennent pas en considération la réduction des risques. L’objectif reste celui schématisé en mai 2000 par les dirigeants de British American Tobacco. L’investissement économique est majeur. Par exemple, Philip Morris International finance à hauteur de 80 millions d’US$ par an sur 12 ans un faux nez sous la forme de la Fondation pour un monde sans fumée (« Foundation for a Smoke-Free World »).

Une promotion très agressive

Le marketing du tabac « chauffé » reprend les vieilles recettes avec les nouveaux medias (les réseaux sociaux), en suggérant qu’il n’existe pas de société sans consommation de produits psychoactifs (tout en oubliant que la nicotine est une drogue dure), en présentant la consommation de tabac comme un choix d’adulte (sachant pertinemment que cela incite les enfants à consommer comme les adultes qu’ils souhaitent être), en redonnant une image glamour au fait de fumer (alors que la consommation de tabac provoque le vieillissement précoce, la maladie et la mort). À cela s’ajoute le parrainage des sports mécaniques avec Philip Morris International, fabricant de la première marque de tabac « chauffé » (IQOS), qui continue d’investir chez Ferrari (180 millions d’US$ par année) et British American Tobacco (BAT) chez McLaren. Tout ceci a un goût de « réchauffé ».

Une promotion très agressive et spécifique pour le tabac « chauffé » est assurée dans des lieux de convivialité. Elle ne respecte évidemment pas la législation en vigueur en France. Le fabricant se retranche derrière l’argument fallacieux selon lequel cette promotion se limite exclusivement au dispositif électronique qui permet de consommer les courtes cigarettes de tabac et non pas les courtes cigarettes elles-mêmes. C’est une grossière manœuvre – la publicité indirecte étant interdite par la loi – mais les gains espérés par les industriels sont si énormes, et en comparaison les amendes qui leur sont infligées en cas d’infraction sont si faibles, que pour elles, violer la loi française est un jeu dont ils sortent inévitablement gagnants, qu’elle qu’en soit l’issue, même s’ils sont lourdement condamnés.

Au total, la promotion d’une réduction des risques illusoire grâce à la commercialisation des produits du tabac « chauffé » est le cheval de Troie de l’industrie du tabac qui vise à miner de l’intérieur la prévention du tabagisme, en discréditant le travail de la société civile et en mettant en échec la politique de lutte contre le tabagisme que les pouvoirs publics ont mis des dizaines d’années à élaborer et qui commence à produire des effets notables.

En conséquence, et conformément aux recommandations de l’OMS, le CNCT demande que les courtes cigarettes du tabac « chauffé » soient considérées comme aussi dangereuses pour la santé que les cigarettes traditionnelles et, à ce titre, soumises aux mêmes réglementations et taxations que ces dernières.


Pr. Yves Martinet, Président du CNCT Emmanuelle Béguinot, Directrice du CNCT Pascal Diethelm, vice-président du CNCT et Dr Nathalie Wirth, membre du conseil d’administration du CNCT Source : Le Quotidien du médecin n°9736

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