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Accords européens avec les cigarettiers pour lutter contre le commerce illicite : quelle efficacité ?

Accords européens avec les cigarettiers pour lutter contre le commerce illicite : quelle efficacité ?

L’Union européenne et 10 Etats membres dont la France ont engagé, à la fin des années 90, des procédures contre les cigarettiers pour organisation de la contrebande à grande échelle. Cette contrebande était non seulement nuisible en raison des pertes fiscales induites mais elle met à mal les politiques publiques de lutte contre le tabagisme des Etats.

Pour éviter le procès, les fabricants ont préféré payer et passer des accords avec les autorités publiques. Ils ont même su, ironie du sort, les présenter comme des partenariats renforçant par là même leur crédibilité alors qu’ils étaient au départ poursuivis pour des délits extrêmement graves.

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Que prévoyaient ces accords ? Il est difficile en réalité d’en connaître le contenu dans la mesure où nombre de clauses sont secrètes, y compris aux élus du Parlement européen comme des Parlements nationaux. L’objectif affiché était en tous les cas de lutter contre le commerce illicite des produits du tabac et de pénaliser les fabricants lorsque des saisies concernaient leurs produits.

Le premier accord signé avec Philip Morris, conclu en 2004, arrive à échéance et se pose la question du renouvellement de celui-ci. Habituellement, les autorités européennes procèdent systématiquement à une évaluation et étude d’impact avant tout renouvellement. Tel ne semblait pas être le cas puisque, des « rencontres exploratoires » ont d’ores et déjà été engagées à l’insu là encore de membres élus des représentations européennes et nationales.

Des chercheurs se sont alors penchés sur cette question et viennent de publier les résultats de leurs recherches dans la revue scientifique Tobacco Control.

Il apparaît qu’en dépit du manque de données et de l’opacité entretenue autour des contrats passés, ces accords n’ont pas démontré leur efficacité en matière de réduction de ce commerce illicite. Ils s’avèrent au contraire toxiques pour l’intérêt général. Le constat suivant s’impose : le commerce illicite reste à un niveau non négligeable et surtout la récupération des recettes fiscales attendue est marginale mais l’impact défavorable sur les mesures de santé publique important.

Plusieurs facteurs expliquent cet échec.

En cas de saisies, ce sont les fabricants de tabac eux-mêmes qui déterminent si les produits saisis sont des produits qu’ils ont fabriqués ou des produits de contrefaçon. Sachant que des pénalités leur sont appliquées s’il s’agit de leurs propres produits, la réponse est quasiment invariablement : « des produits de contrefaçon ». Or aucun test de contrôle réalisé dans un laboratoire indépendant visant à contrôler l’affirmation des fabricants n’a jamais été réalisé.

De plus, les fabricants ont ajusté leurs pratiques pour éviter les risques de saisies induisant des pénalités. Selon les accords, ces dernières interviennent sur des conditionnements d’au moins 50 000 unités. Dans cette perspective, on est passé d’une contrebande à très grande échelle via des containers à une contrebande portant sur des volumes unitaires de plus petite taille. Ainsi donc les pénalités en cas de saisies ne dissuadent pas les fabricants à mettre fin à leur implication dans la contrebande car les accords disposent de nombreuses lacunes et le montant des taxes récupérées est minime comparé aux pertes financières liées au commerce illicites : 0,08% des pertes estimées dues au commerce illicite de la cigarette dans l’UE entre 2004 et 2012).

En revanche, l’impact pour la santé publique est extrêmement délétère. Il apparaît en effet que par l’intermédiaire de ces accords, les fabricants exercent une influence importante sur les politiques publiques de lutte contre le tabagisme voire font obstacle à certaines dispositions essentielles, en particulier en matière de politique fiscale.

Ces accords servent les intérêts des fabricants et menacent les avancées dans la lutte contre le tabagisme. Les chercheurs suggèrent de mettre un terme à ces accords.

D’autres modalités beaucoup plus efficaces existent pour lutter contre le commerce illicite. Elles renvoient à des mesures de contrôle de la chaîne d’approvisionnement de la fabrication jusqu’à la vente au consommateur, ainsi que des modalités de coopération internationale sur le plan technique et judiciaire avec un renforcement des sanctions. Ces dispositions de suivi et de traçabilité indépendantes des fabricants de tabac sont particulièrement redoutées par ces derniers qui s’efforcent à tout prix de conserver la maîtrise de ces données. Il est vrai que leurs propres documents internes révèlent combien les marchés parallèles ne doivent pas être négligés pour le développement de leurs ventes.

Pour en savoir plus : Joossens L, Gilmore AB, Stoklosa M et al., Assessment of the European Union’s illicit trade agreements with the four major Transnational Tobacco Companies, Tob Control 2015; 0:1-7. Doi:10.1136/tobaccocontrol-2014-052218
 
 

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