Alerte sur les pratiques de l’industrie du tabac
La négociation et la mise en œuvre du premier traité de santé publique de l’Organisation mondiale de la Santé, la Convention Cadre pour la Lutte Anti-tabac (CCLAT), ont conduit à l’adoption de politiques et de mesures fondées sur les preuves scientifiques et ce, dans un esprit de coopération entre pays. A cela s’ajoute le constat et la nécessité de ne pas associer l’industrie du tabac à la définition de ces mesures, les intérêts de la santé publique et ceux de cette industrie étant inconciliables. Aujourd’hui ratifié par plus de 170 pays dans le monde, ce traité dote les pays d’un outil juridique et concret pour préserver les populations et l’intérêt général des pratiques souvent délictuelles de l’industrie du tabac.
L’objectif de l’industrie du tabac est d’empêcher l’instauration d’une gouvernance mondiale protectrice dans le domaine du tabac et plus globalement de la santé. Aussi les fabricants de tabac se sont-ils engagés, par tous les moyens possibles, à saper l’application de ce traité et le développement de cette gouvernance inédite et redoutablement efficace pour réduire la consommation de tabac.
Des chercheurs (*) ont analysé des documents internes, secrets de ces fabricants, documents rendus publics par décision de justice. Ils ont couplé cette analyse à celle de publications scientifiques portant sur l’étude des stratégies d’ingérence de l’industrie du tabac dans les politiques publiques. Ils ont ainsi mis en évidence la stratégie d’ingérence plus particulièrement conçue par l’industrie du tabac à l’égard de ce traité.
En premier lieu, les fabricants de tabac ont essayé d’empêcher l’élaboration même du traité en affirmant que celui-ci aurait des conséquences économiques catastrophiques, que la question du contrôle du tabac était une préoccupation de pays riches. Ils ont également soutenu que ce traité était incompatible avec d’autres accords existants notamment des traités commerciaux et qu’il allait à l’encontre de la souveraineté des Etats. L’industrie n’a pas hésité à infiltrer d’autres agences des Nations Unies et à faire remettre en cause le mandat de l’OMS en affirmant que la négociation du traité de la CCLAT pourrait créer un précédent au-delà du tabac. Les fabricants ont enfin renforcé leur stratégie d’ « actions dites de société responsables » en présentant ces dernières comme des alternatives au traité.
Dans un second temps, n’ayant pu empêcher l’adoption du traité, les fabricants ont mis en place une stratégie tous azimuts pour faire prévaloir leurs points de vue. Ils ont ainsi ciblé directement les délégations des Parties au traité et tous les acteurs susceptibles de jouer un rôle, notamment les médias, les scientifiques, leaders d’opinion …, et ce afin de disposer d’alliés susceptibles de relayer leurs intérêts. Leur tactique est également de tout faire pour retarder la discussion, l’adoption et la mise en œuvre des mesures tout en s’imposant comme partie prenante de la décision.
La connaissance de ces diverses tactiques déployées systématiquement par les fabricants dans les différent pays est indispensable pour l’ensemble des acteurs de la santé publique à la fois pour essayer de s’en préserver et également pour mieux comprendre les aléas des politiques publiques.
La situation de la France et celle de l’Union Européenne en constituent des illustrations. Le départ forcé de l’ancien Commissaire européen à la santé John Dalli au moment même où devait être discutée une nouvelle directive devant conduire à réduire la consommation de tabac trouve alors son explication.
Source : (*) Weishaar H, Collin J, Smith K, Gru¨ ning T, Mandal S, et al. (2012) Global Health Governance and the Commercial Sector: A Documentary Analysis of Tobacco Company Strategies to Influence the WHO Framework Convention on Tobacco Control. PLoS Med 9(6): e1001249. doi:10.1371/journal.pmed.1001249