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Les pays en voie de développement : une nouvelle cible pour les industriels

Les pays en voie de développement : une nouvelle cible pour les industriels

Pour faire face à des législations anti-tabac de plus en plus contraignantes (hausse des taxes, interdiction de la publicité, programmes de prévention, interdiction de fumer dans les endroits publics, etc..), notamment en Europe, un des enjeux majeurs pour les fabricants de tabac est actuellement d’élargir leur marché aux autres continents et se diriger vers les pays les plus défavorisés.

Des législations très permissives accompagnées, de surcroît, d’un manque de statistiques sur l’impact du tabagisme dans ces pays en font des marchés prometteurs pour cette industrie. Les industriels du tabac jouissent ainsi d’une totale liberté pour élaborer des stratégies marketing afin d’améliorer l’image du tabac, son usage, et son industrie, dans ces pays.

Les enfants et adolescents constituent des cibles privilégiées. A titre d’exemple, plus de la moitié de la population africaine a moins de 25 ans aujourd’hui ; ces personnes représentent ainsi autant de fumeurs potentiels que les cigarettiers peuvent recruter.

Les pays en voie de développement sont déjà confrontés à des catastrophes humanitaires et sanitaires comme le sida, le paludisme, la faim ou le manque d’eau ; le fléau du tabagisme ne ferait qu’aggraver la pauvreté, les maladies liées au tabac et la mortalité de ces populations.

 

Le commerce illicite

Une des premières stratégies des cigarettiers pour développer leur marché dans ces pays consiste à y introduire clandestinement des produits de marque à très bon marché, avant qu’ils ne soient distribués de manière plus officielle, ceci afin d’éviter de payer toute taxe.

Cette contrebande permet ainsi de vendre les paquets de cigarettes moins chers, de les rendre accessibles à tous et d’assurer une addiction de plus en plus importante au sein de la population. Par exemple, au Niger, 85 % des cigarettes consommées par les populations sont des cigarettes qui ont été introduites frauduleusement. Les cigarettes coûtent alors moins cher que l’eau en Afrique[1].

Les cigarettiers peuvent ensuite rendre compte aux dirigeants de ces pays de la nécessité de mieux contrôler cette contrebande afin que les gouvernements puissent percevoir l’argent des recettes fiscales. Cela devient alors un moyen pour les fabricants de s’installer plus facilement dans ces pays, de distribuer leurs produits et de les fabriquer localement.

 

Le parrainage d’événements culturels et sportifs

Du fait de l’absence d’investissements de la part des gouvernements pour soutenir la culture, l’industrie comble ces manquements en sponsorisant de nombreux évènements culturels (concerts), sportifs (tournois de football, etc.) ou ludiques (soirées en discothèque) durant lesquels des cigarettes ou des cadeaux sont distribués gratuitement (casquettes, briquets, tee-shirts, autocollants, etc.).

 

Le cinéma

Le cinéma reste l’un des moyens les plus efficaces et discrets de faire la promotion des produits du tabac. Bollywood, l’industrie cinématographique indienne, est une illustration concrète de la présence importante du tabagisme dans les films, lesquels sont orientés principalement vers les marchés moyen-orientaux, asiatiques et africains.

Une étude de l’Organisation mondiale de la Santé a démontré, sur un échantillon de 395 films indiens tournés entre 1991 et 2002, la présence de scènes tabagiques dans 75 % d’entre eux[2].  

 

La vente de produits dérivés

Sur les marchés, la vente de vêtements valorisant les marques de tabacs est encore très répandue dans les pays en voie de développement. Ces vêtements permettent à ces marques de faire partie du paysage quotidien, d’être mémorisées dès le plus jeune âge et de demeurer dans l’espace public. Ceci contribue alors à banaliser la dangerosité des produits du tabac.

 

 

Il en est de même pour les jouets, ou autres produits. En Inde, l’utilisation de nicotine dans les dentifrices pour ses prétendues vertus désinfectantes pour les gencives, crée véritablement une forte dépendance à la nicotine[3].

 

Les paquets de cigarettes et la vente à l’unité

Puisque la législation n’impose pas de limitations en teneur de goudron et de nicotine dans les cigarettes, les industriels incluent dans leurs produits à destination de ces pays des composants dont les taux sont plus forts, plus dangereux et plus addictifs.

Par ailleurs, pour mieux répondre aux désirs des jeunes populations, les fabricants lancent des marques de cigarettes symboliques qui correspondent à leurs attentes. Le groupe Philip Morris a lancé, par exemple, la marque Visa, sur la base d’une étude démontrant que la principale préoccupation des jeunes était d’avoir un visa pour l’Occident[4].

 

 

Pour les personnes disposant de très peu de moyens, les cigarettes sont également vendues à l’unité, à la criée, travail effectué souvent par des enfants.

 

La responsabilité sociale des entreprises (RSE)

De nombreuses campagnes de RSE sont lancées par les industriels pour « redorer leur blason » et se donner une image d’entreprise responsable, par exemple, à travers le financement de programmes de lutte contre les maladies comme le sida ou le paludisme, ceci afin de dé-diaboliser l’image du tabac et d’écarter du débat leurs pratiques malhonnêtes.

En conclusion, ces nombreuses stratégies ont pour conséquences :

  • Une difficulté pour ces pays à résister face à des industriels qui représentent des intérêts financiers colossaux ;
  • Une exploitation des travailleurs et des enfants : l’association Plan a dénoncé les conditions de travail des enfants au Malawi, qui travaillent dans les plantations de tabac pour subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille et qui souffrent d’empoisonnement à la nicotine (maladie du tabac vert)[5]
  • Une aggravation de la pauvreté
  • Une augmentation des pathologies et des décès liés au tabac (maladies cardiovasculaires, cancer, maladies respiratoires chroniques etc..).

Ainsi, dans quelques années, ce sont les pays en voie de développement qui paieront le plus lourd tribut à ce fléau.

 

Crédits photo : http://www.flickr.com/photos/64749744@N00/2939839764/
 

[1] Documentaire « Tabac la conspiration », réalisé par Nadia Collot (2006), produit par Marie Hélène Ranc et Joanne Carrière
[2] Tobacco and Bollywood. Rapport établi à l’intention de l’OMS par Ambika Srivastava, Président, Strategic Mediaworks
[3] http://www.leblocnotes.ca/node/2426
[4] Documentaire « Tabac la conspiration », réalisé par Nadia Collot (2006), produit par Marie Hélène Ranc et Joanne Carrière
[5] Le rapport «Travailler dur, peu de salaire et de longues heures» révèle que ces enfants qui travaillent dans les champs de tabac, parfois dès l’âge de cinq ans, souffrent de graves symptômes physiques dus à l’absorption de près de 54 milligrammes de nicotine par jour à travers leur peau, soit l’équivalent de 50 cigarettes.

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