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Non, il n’y a pas d’explosion du commerce illicite de tabac en France

Paris, le 18 novembre 2024 – Dans La Tribune, plusieurs personnalités alertent sur les risques qu’entraînerait une augmentation de la fiscalité sur le commerce illicite des produits du tabac. Les auteurs du texte, proche de Philip Morris France, multiplient les contre-vérités sur l’efficacité des politiques de santé publique et l’ampleur des marchés parallèles, tout en éludant le rôle des fabricants dans le commerce illicite. Le CNCT propose de revenir sur les arguments avancés dans cette tribune, qui constitue un des nombreux éléments d’une stratégie de lobbying d’ensemble de l’industrie du tabac. 

La tribune est endossée par Jean-Michel Fauvergue, ancien chef du RAID et ancien député de Seine-et-Marne sous l’étiquette En Marche. Le texte est co-signé par plusieurs personnalités publiques, ainsi que par plusieurs parlementaires, dont certains sont proches du fabricant Philip Morris, à l’instar de Christophe Blanchet ou de Lise Magnier.

Le tabagisme en France : 75 000 morts prématurées et deux milliards d’euros de déficit public par an

La tribune estime que la mise en place d’une trajectoire fiscale correspondrait d’abord à la volonté des pouvoirs publics de générer des recettes fiscales, dans une situation de tension budgétaire. En réalité, si la hausse des taxes est nécessaire au regard des deux milliards d’euros que le tabagisme fait peser sur les comptes publics, l’objectif premier d’une telle mesure est sanitaire. Chaque année, la consommation de tabac entraîne la mort prématurée de 75 000 personnes en France, et les hausses de taxes sont considérées par l’OMS et par l’ensemble de la littérature scientifique comme l’outil le plus efficace pour endiguer l’épidémie tabagique.

Une baisse historique du tabagisme grâce aux hausses de taxes

Or, en dépit du consensus scientifique sur la question, les auteurs estiment que les hausses de taxes ont été jusqu’à présent inefficaces pour réduire la consommation. Si la tribune concède que la consommation de tabac a « commencé à baisser », faisant probablement référence à une réduction de près de 10 points du tabagisme quotidien chez les jeunes de 17 ans, elle pointe en revanche la persistance des niveaux de consommation en population adulte. En réalité, les données publiques disponibles montrent qu’entre 2017 et 2019, lors de la politique de la trajectoire fiscale pour un paquet à dix euros, la prévalence tabagique quotidienne a reculé de près de trois points, passant de 26,9% à 24%. Dans le même intervalle de temps, les niveaux de consommation auprès des populations les plus précaires sont, pour la première fois, passés sous la barre des 30%, soit le plus fort recul jamais enregistré ces vingt dernières années. La stagnation de la situation, voire la reprise de la consommation pour certaines catégories de population, est précisément imputable à l’absence de trajectoire fiscale depuis 2020, obtenue suite aux pressions de la Confédération des buralistes.

Comment comprendre l’évolution des saisies de tabac par les Douanes ?

Surtout, les auteurs de la tribune considèrent que « loin d’influencer le comportement des fumeurs vers un arrêt de la cigarette, la fiscalité du tabac les pousse de plus en plus dans les rets du commerce illicite », faisant participer la puissance publique à son « propre désordre ». Pour appuyer une telle affirmation, la tribune fait état d’une augmentation des saisies de tabac de 83% entre l’année 2020 et l’année 2023. Or, compte tenu de la fermeture des frontières et des périodes de confinement liées à la pandémie de COVID-19, prendre l’année 2020 comme point de référence comporte un biais évident visant à gonfler artificiellement l’ampleur du commerce illicite. En élargissant le spectre, les 521 tonnes de tabac saisies par les Douanes pour l’année 2023 appartiennent au même ordre de grandeur que pour les années précédentes : 462 tonnes en 2011, 630 tonnes en 2015. Enfin, compte tenu du fait que deux-tiers des volumes de tabac saisis sur le territoire français sont destinés à l’étranger, l’évolution de ces chiffres n’est pas un indicateur satisfaisant pour faire état de l’ampleur du commerce illicite.

Des niveaux de commerce illicite résiduels, selon Santé publique France

Contrairement à ce qui est avancé dans cette tribune, le comportement d’achat des fumeurs n’a pas significativement évolué depuis au moins dix ans. En effet, l’enquête menée par Santé publique France auprès de plus de 24 000 personnes estime que les niveaux de marchés parallèles sont stables depuis au moins 2014, en dépit des hausses de taxes sur le tabac entreprises depuis lors. Par ailleurs, l’étude montre que la grande majorité de ces achats hors-réseau correspondent aux achats transfrontaliers, tandis que Santé publique France souligne que les achats de rue, correspondant au commerce illicite, demeurent à des niveaux résiduels (0,8%).

L’industrie du tabac est la principale bénéficiaire du commerce illicite

Il est par ailleurs regrettable de constater qu’aucune mention n’est faite par la tribune de l’implication des fabricants de tabac dans l’organisation et la facilitation du commerce illicite international. Il y aurait pourtant fort à parier que Jean-Michel Fauvergues, à la tête du RAID lors de la vague d’attentats terroristes de 2015, trouverait utile de savoir que l’industrie du tabac, y compris Philip Morris, a été pointée du doigt par un réseau de journalistes d’investigation pour ses pratiques délibérées de surapprovisionnement, notamment en Afrique de l’Ouest, alors que le commerce illicite de tabac constitue la première source de financement majeure du djihadisme, de milices armées et d’organisations criminelles.

L’ « explosion » du commerce illicite, une ritournelle de l’industrie du tabac

Dans sa tribune, Jean-Michel Fauvergue déplore la rapide évolution du commerce illicite de tabac en France, jugeant le phénomène « encore embryonnaire il y a peu ». Pourtant, une rapide recherche sur Internet permet de témoigner que ce discours catastrophique sur une « explosion » du commerce illicite en France est systématiquement avancé par les fabricants de tabac et les buralistes, et relayé par la presse et une partie des parlementaires, et ce depuis plus de 20 ans. A titre d’exemple, en 2003, dans une question écrite au gouvernement, l’ancien député Christian Estrosi alarmait sur la nécessité de « s’interroger sur l’efficacité de la politique de hausse des tarifs, lorsqu’on constate, au-delà des statistiques officielles, l’explosion de la contrebande ». Le même jour, dans une autre question écrite, l’ancien député Pierre Lang interpellait le gouvernement sur le besoin de « s’interroger sur l’efficacité de la politique de hausse des tarifs, lorsqu’on constate, au-delà des statistiques officielles, l’explosion de la contrebande ». Formulées précisément dans les mêmes termes, ces questions reflètent en réalité le lobbying permanent de la part du secteur tabac pour dissuader les pouvoirs publics de mettre en place une politique de hausses de taxes, qui constitue, de fait, une menace directe pour la santé économique des fabricants.

Cette tribune s’inscrit dans une stratégie de lobbying d’ensemble de la part des fabricants de tabac et de la Confédération des buralistes visant à empêcher toute hausse de la fiscalité sur les produits du tabac. En août 2024, un rapport du distributeur Logista faisait également état de l’inefficacité des hausses de taxes pour réduire la consommation tabagique, comme peut le faire chaque année le rapport KPMG, largement relayé dans la presse.

Quelles solutions pour lutter contre les marchés parallèles ?

Il ne s’agit pas pour autant de nier l’enjeu sanitaire, fiscal et sécuritaire que constituent les marchés parallèles. Depuis plusieurs années, le Comité national contre le tabagisme formule un certain nombre de recommandations aux pouvoirs publics pour lutter contre les achats hors-réseau, qu’ils soient légaux ou illégaux. En particulier, au regard des pratiques de contournement de l’industrie du tabac, il apparaît indispensable de mettre en place des quotas d’approvisionnement en tabac par pays, correspondant à la consommation intérieure réelle. Une telle mesure participera à empêcher les stratégies de surapprovisionnement des marchés transfrontaliers par l’industrie du tabac, qui affaiblissent aujourd’hui une partie des politiques de santé publiques en France. Cette disposition fait partie du Protocole contre le commerce illicite, ratifié par la France et l’Union européenne, et a fait l’objet d’une proposition de loi de la part du député et de l’ancien ministre de la Santé Frédéric Valletoux.

Il est par ailleurs indispensable que les données du système de suivi et de traçabilité soient rendues publiques, afin notamment de renseigner et d’objectiver les pratiques de surapprovisionnement par l’industrie du tabac.

Enfin, le Protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac impose la mise en place d’un système de suivi et de traçabilité efficace, et implique nécessairement un contrôle indépendant de l’ensemble de la chaîne logistique, depuis la production à la vente au détail. Or, le système actuellement en vigueur n’est pas pleinement indépendant des fabricants. En conséquence, le CNCT appelle à conformer la directive européenne des produits du tabac (TPD), en particulier son article 15, qui enfreint cette obligation d’indépendance.

Contact de presse

François TOPART
06 20 00 34 71

A propos du CNCT

Le Comité National Contre le Tabagisme est la première association qui s’engage et agit pour la prévention et la protection des personnes face aux méfaits du tabac et aux pratiques de son industrie. En France, le tabagisme reste la première cause de mortalité prématurée et évitable. Pour lutter contre ce fléau, le CNCT mène à la fois des actions de prévention afin de sensibiliser sur ces dangers et des actions de plaidoyer pour faire adopter des mesures de protection efficaces.

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