Des risques spécifiques pour les femmes
Les femmes fumeuses s’exposent aux mêmes risques pour la santé que les hommes fumeurs mais elles encourent des risques supplémentaires spécifiques souvent méconnus et négligés. En 2019, 26,5% des femmes âgées de 18 à 75 ans déclaraient fumer du tabac en France. La prévalence du tabagisme quotidien s’élève à 20,7% parmi les femmes et à 5,8 % pour le tabagisme occasionnel. Chez les jeunes filles de 17 ans, elles sont près d’un quart à consommer régulièrement du tabac (23,8%)[1]. En 2019, les femmes en fumaient en moyenne moins que les hommes (13,5), avec 11,4 cigarettes par jour, stable par rapport à 2014[2].
Si la mortalité des hommes causée par le tabac est en recul depuis ces dernières années, celle des femmes, en revanche, connaît une croissance continue. Entre 2000 et 2015, le nombre de décès attribuables au tabac a doublé chez les femmes, passant d’environ 8 000 (3,1% de tous les décès chez la femme à près de 20 000 décès (6,9%) : un décès sur 14 parmi les femmes est attribuable au tabac et dans la tranche d’âge des 35/64 ans, la proportion est de 1/5[3].
De plus en plus de cancers du poumon chez les femmes
Si la mortalité féminine par cancer bronchique a augmenté dans la plupart des pays européens (elle ne diminue qu’en Grande-Bretagne, en Irlande et au Danemark), c’est en France qu’elle a le plus augmenté au cours de la dernière décennie[4]. L’étude de Santé publique France annonçait en 2018 que le cancer du poumon devrait devenir dans un avenir proche le plus meurtrier chez la femme, devant le cancer du sein. En effet, le cancer du poumon a augmenté de 71 % chez les femmes entre 2000 et 2014 – il a baissé de 15 % chez les hommes en France. Les femmes touchées ont majoritairement entre 55 et 74 ans où la mortalité est actuellement supérieure à celle par cancer du sein[5]. Ces femmes appartiennent à la génération née dans les années 1950, qui a commencé à fumer en nombre dans les années 1970[6].
De même, les exacerbations de broncho pneumopathie chronique obstructive (BPCO), nécessitant une hospitalisation, ont doublé entre 2002 et 2015 chez les femmes, alors qu’elles ont augmenté dans une moindre proportion : +30 % chez les hommes. Et la mortalité par BPCO a progressé sur la même période de 2002 à 2012 chez les femmes alors qu’elle est en recul de 21% pour les hommes.
Pathologies cardiovasculaires : de plus en plus de femmes touchées
Le risque de maladie cardiovasculaire chez les femmes est souvent sous-estimé. Cela est dû à des perceptions erronées selon lesquelles il s’agirait de maladies « masculines » ou que les femmes seraient davantage « protégées » que les hommes à l’égard des maladies cardiovasculaires en raison de leur statut hormonal. En réalité ce bénéfice réel, disparaît en cas de consommation de tabac et les femmes sont alors aussi vulnérables que les hommes aux maladies induites par le tabac[7]. En France, l’incidence des infarctus du myocarde avant 65 ans a augmenté de 50% chez les femmes (16% chez les hommes). De 2005 à 2014 les hospitalisations pour infarctus du myocarde ont augmenté de 5% par an par chez les femmes de 45 à 54 ans. Chez les femmes de 35 à 49 ans, plus de 25% des décès par maladie coronaire sont attribuables au tabac[8].
Par ailleurs, l’analyse de la littérature montre qu’à tabagisme égal les femmes ont un sur-risque de maladie coronaire de l’ordre de 25%. Certains risques sont spécifiques aux femmes. L’association du tabac avec la contraception oestro-progestative induit un surrisque d’accident cardiovasculaire essentiellement lié au tabac
D’autres conséquences sanitaires associées sont spécifiques aux femmes comme un risque plus important de cancer du sein du fait d’une exposition au tabagisme passif[9], de cancers du col de l’utérus[10], la perturbation des cycles menstruels[11], la diminution de la fertilité, les nombreux risques lors de la grossesse pour la femme et l’enfant ou encore l’incidence sur la ménopause et les risques majorés d’ostéoporose.
Tabac et pilule, un cocktail explosif
L’association de la consommation de tabac à la prise de la pilule contraceptive se traduit par une augmentation importante du risque cardiovasculaire et la survenue possible d’un accident vasculaire cérébral. Le risque de faire une phlébite (inflammation d’une veine de la jambe avec formation d’un caillot sanguin) est également aggravé et peut se compliquer d’une embolie pulmonaire (obstruction d’une artère pulmonaire par un caillot sanguin). De plus, les fumeuses ont plus fréquemment des saignements intermittents et une contraception moins efficace que les non-fumeuses[12].
Cycles menstruels
Sur le plan hormonal, le tabac a un effet hypo-œstrogénique favorisant des cycles menstruels irréguliers, anovulatoires et plus courts (réduction moyenne de 2,6 jours). Le tabagisme, qu’il soit actif ou passif, favorise également les dysménorrhées[13]–[14].
Le tabac, un frein à la fécondité de la femme
Le tabagisme réduit la fécondité des femmes d’environ un tiers. Cette réduction est majorée par l’âge et le niveau du tabagisme (avec une relation dose-effet)[15].
C’est ainsi qu’à âge identique, les fumeuses sont moins fécondes que les non-fumeuses. En moyenne, les fumeuses mettent deux fois plus de temps que les non-fumeuses pour avoir un enfant[16].
Par ailleurs, la ménopause intervient plus tôt chez les fumeuses (avancée en moyenne de 2 ans, voire davantage[17]). La ménopause s’accompagne plus fréquemment que chez les non-fumeuses d’une ostéoporose (décalcification des os et réduction de la densité osseuse à l’origine de nombreuses fractures).
Tabagisme et grossesse : des risques majeurs pour la mère et l’enfant[2]
Le tabagisme entraîne des risques supplémentaires pour la santé reproductive des femmes. Outre le risque aggravé de maladies non transmissibles (accidents vasculaires cérébraux, maladies cardiaques et pulmonaires, cancers), les femmes peuvent souffrir de problèmes spécifiques liés à la santé reproductive si elles fument avant ou pendant la grossesse :
– risque augmenté d’infertilité et retards de conception ;
– risque accru de cancer du col de l’utérus ;
– risques plus importants d’accouchement prématuré, mortinaissance et décès du nouveau-né.
Enceintes, les fumeuses voient leur risque de faire une fausse couche ou d’accoucher prématurément multiplier par 2[18].
Le risque de grossesse extra-utérine est multiplié par 1,5 lorsque la future maman fume moins de 10 cigarettes par jour, par 3 à partir de 20 cigarettes et par 5 au-delà de 30[19].
Exposé au tabagisme de la mère, le fœtus est moins bien oxygéné et connaît plus souvent des retards de développement. Le nourrisson exposé au tabagisme passif durant la gestation rencontre plus souvent des problèmes respiratoires tels que l’asthme et présente un risque de mort subite multiplié par 3[20].
Enfin, après la naissance, la consommation de tabac perturbe l’allaitement d’une part en diminuant la production de lait de la mère et d’autre part parce que la nicotine passe dans le lait.
En France, il est estimé qu’entre 20 et 25% des femmes enceintes fument pendant leur grossesse et 16 % des femmes enceintes fument encore en fin de grossesse, ce qui représente un des taux les plus élevés d’Europe. De plus, si la moitié des fumeuses stoppent leur consommation durant la grossesse, 82 % reprennent malheureusement après l’accouchement[21].
Le tabac accroît le risque de contracter un cancer du sein
Comparées aux femmes n’ayant jamais fumé ni été exposées au tabagisme passif, les fumeuses voient leur risque de contracter un cancer du sein augmenté de 50 %[22].
Les femmes demeurent une cible majeure pour l’industrie du tabac
Ce lourd tribut payé par les femmes est la conséquence directe de décennies de marketing ciblé par l’industrie du tabac. Depuis les années 1960, l’industrie oriente ses campagnes marketing à destination des femmes à travers des publicités qui s’appuient sur les stéréotypes de genre et associent faussement l’usage du tabac aux concepts de beauté, minceur, sophistication, prestige, émancipation, liberté, glamour et séduction. Ce marketing à destination des femmes continue aujourd’hui à travers la commercialisation des nouveaux produits de l’industrie et de la stratégie de « réduction des risques » qui y est associée.
Tabac et poids : le mythe de la minceur doit tomber
De nombreuses personnes, entretenues dans cette croyance par l’industrie du tabac, pensent que fumer fait maigrir.
En effet, la consommation d’une cigarette augmente la dépense énergétique du métabolisme de base de 3 % pendant l’heure qui suit[23]. Par ailleurs, fumer diminue l’appétit en augmentant la sensation de satiété. Mais la minceur des fumeurs n’est qu’un phénomène transitoire.
En effet, la consommation de tabac provoque une modification de l’équilibre hormonal qui entraîne une nouvelle répartition des graisses corporelles au niveau du ventre, ce qui correspond à une répartition typiquement masculine.
Autrement dit, à terme, fumer favorise la prise de ventre.
Par ailleurs, localisés autour du ventre, ces kilos supplémentaires sont non seulement difficiles à éliminer mais entraînent également des risques supplémentaires pour la santé (cardiovasculaires, diabète, cancer, etc.)
[1] ESPAD Group 2020, ESPAD Report 2019: Results from the European school survey Project on alcohol and other drugs, EMCDDA Joint publications, Publication of the European Union, Luxemburg, https://www.emcdda.europa.eu/system/files/publications/13398/2020.3878_EN_04.pdf
[2] Pasquereau A, Andler R, Arwidson P, Guignard R, Nguyen Thanh V. Consommation de tabac parmi les adultes : bilan de cinq années de programme national contre le tabagisme, 2014-2019. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(14):273-81.
[4] Didkowska J. et coll. Lung cancer mortality at ages 35-54 in the European Union : ecological study of evolving tobacco epidemics. British Medical Journal 2005 ; 331 : 189-91
[6] Bourdillon F. Éditorial. Les pathologies liées au tabac chez les femmes : une situation préoccupante. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(35-36):682.
[7] Marjan Walli-Attaei, PhD Philip Joseph, MD Prof Annika Rosengren, MD Prof Clara K Chow, PhD Sumathy Rangarajan, MSc Prof Scott A Lear, PhD et al. Variations between women and men in risk factors, treatments, cardiovascular disease incidence, and death in 27 high-income, middle-income, and low-income countries (PURE): a prospective cohort study, The Lancet, VOLUME 396, ISSUE 10244, P97-109, JULY 11, 2020 DOI:https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30543-2
[8] Les pathologies liées au tabac chez les femmes : une situation qui reste évolutive et alarmante, Fédération Française de Cardiologie, 6 novembre 2018, consulté le 23 avril 2021
[9] Macacu A, Autier P, Boniol M, Boyle P. Active and passive smoking and risk of breast cancer: a meta-analysis. Breast Cancer Res Treat. 2015 Nov;154(2):213-24. doi: 10.1007/s10549-015-3628-4. Epub 2015 Nov 6. PMID: 26546245.
[12] C. Willi G. de Torrenté de la Jara J. Cornuz A. Closuit, Cycles de vie d’une femme et tabac, Rev Med Suisse 2006; volume 2. 31475
[13] Chen C, Cho S, Damokosh AI, et al. Prospective study of exposure to environmental tobacco smoke and dysmenorrhea. Environmental Health Perspective 2000;108:1019-22.
[16] Grange GILLE and Guibert JULIE.Tabagisme et grossesse Rev Prat ; 2012 : 62:344-346
[17] Ibid
[18] Grange GILLE and Guibert JULIE.Tabagisme et grossesse Rev Prat ; 2012 : 62:344-346
[19] Armstron BG., Swan SH., Fenster L., Cigarette, Alcohol and coffee consumption and spontaneous abortion. Am J Public Health 1992 ; 82 : 85-87
[20] Sawnani H, Olsen E and Simakajomboon N. The Effect of In Utero Cigarette Smoke Exposure on Development of Respiratory Control: A Review. Pediatric Allergy, Immunology, and Pulmonology 2010; 23(3):161-6
[21] Demiguel V, Blondel B, Bonnet C, Andler R, Saurel-Cubizolles MJ, Regnault N. Évolution de la consommation de tabac à l’occasion d’une grossesse en France en 2016. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(35-36):694-703.
[22] Johnson KC. Accumulating evidence on passive and active smoking and breast cancer risk. Int J Cancer 2005;117:619-28.
[23] J.-P. Zellweger J. Cornuz, Arrêt du tabac et prise pondérale, Rev Med Suisse 2003; volume -1. 23279