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Lutter contre l’épidémie tabagique pour renforcer les droits humains

Lutter contre l’épidémie tabagique pour renforcer les droits humains

 

Les droits humains, ou droits de l’homme, sont un concept philosophique, politique et juridique postulant l’existence de droits innés et inaliénables à tous les individus, indépendamment de leur identité ethnique, religieuse, spirituelle, linguistique, politique, culturelle ou sexuelle.

Issus d’un long cheminement intellectuel et historique, les droits humains sont progressivement affirmés et incarnés dans un ensemble de textes, à l’instar de l’habeas corpus de 1679, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, ou plus récemment, la Déclaration universelle de 1948. Ce texte constitue notamment le cadre d’un ensemble de conventions internationales émanant de l’Organisation des nations unies (ONU), et qui visent à poser un socle réglementaire contraignant destiné à protéger les droits humains.

Ceux-ci, tels qu’ils sont envisagés par la Déclaration universelle de 1948, reposent sur un certain nombre de principes. Ils postulent d’abord l’existence d’une égalité de la dignité des êtres humains, indépendamment de leurs singularités, selon le principe de non-discrimination, et proclament le droit à la vie, le droit à la liberté, ainsi que l’interdiction de l’esclavage. Aujourd’hui, un certain nombre de traités internationaux viennent réaffirmer l’existence de droits individuels : droits des femmes, droits des enfants, droits des minorités, droit à la santé, à l’éducation, à l’information, liberté d’opinion, d’expression, etc.

Les fabricants de tabac sont responsables de la diffusion et de la persistance d’une épidémie industrielle, à l’origine de huit millions de décès à travers le monde chaque année, et de 100 millions de morts durant le 20ème siècle. Si l’impact sanitaire du tabagisme tend à devenir un fait de plus en plus connu, malgré les campagnes de désinformation orchestrées par l’industrie du tabac depuis plusieurs décennies, les conséquences de l’activité des compagnies du tabac, beaucoup plus diffuses, dépassent la seule dimension sanitaire, et demeurent à ce jour encore largement méconnues.

Au-delà des conséquences de la consommation tabagique, l’industrie du tabac, par son activité même, s’oppose directement à un grand nombre de droits humains, à commencer par les plus fondamentaux : droit à la vie, droit à la santé, droit à la liberté, droit à l’éduction, à l’information, droits environnementaux, droits des minorités, etc.

Pourtant, les compagnies de tabac ont été l’une des premières industries à investir le champ des droits humains. Dès la fin des années 60, l’industrie du tabac a déployé une campagne de relations publiques visant à se poser en tant que défenseur des libertés individuelles, visant à garantir un hypothétique « droit de fumer ». De la même manière aux Etats-Unis, les fabricants de tabac se saisissent du mouvement des droits civiques pour engager un marketing ethnique articulé autour de la « black pride ». Dans ces deux exemples, la mobilisation du concept des droits humains par les cigarettiers poursuit deux objectifs : d’une part, bloquer les premières réglementations antitabac, et d’autre part, accroitre leurs marchés.

Malgré leur incompatibilité de fait, l’industrie du tabac tend depuis plusieurs années à intensifier sa stratégie de promotion des droits humains et de responsabilité sociale des entreprises. Ainsi, British American Tobacco (BAT) et Philip Morris International (PMI) ont intégré dès les années 2000 le Pacte mondial des Nations unies, destiné à encourager le respect des droits humains. Si les compagnies en ont été exclues en 2017, elles continuent à se présenter comme des acteurs engagés dans ce domaine, en faisant la promotion d’une relation partenariale auprès d’institutions, de traités et d’organismes de défense des droits humains. Cette stratégie passe également par la participation à des événements liés aux droits humains et la RSE, par le financement de groupes de défense de minorités (droits des femmes, droits des LGBT), ou par la mise sur pied de groupes de façade destinés à porter un message consensuel et lénifiant pour chercher à construire une image publique positive et crédible. Pour l’industrie du tabac, il s’agit notamment de faire oublier les conséquences humaines, sanitaires, économiques et environnementales désastreuses de l’activité de l’industrie du tabac.

 

I. Dans quelle mesure le tabac et l’industrie du tabac portent atteinte aux droits humains ?

La Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (CCLAT), premier traité international de santé publique, vise à protéger les génération actuelles et futures des conséquences sanitaires de la production, de la consommation de tabac et de l’exposition à la fumée tabagique. En cela, la Convention-cadre s’inscrit pleinement dans la philosophie des droits humains, en ce qu’elle « réaffirme le droit de tous au meilleur état de santé »[1].

Mais la CCLAT vise également à garantir aux populations une protection face aux conséquences économiques, environnementales et sociales de l’activité des fabricants. De ce fait, la CCLAT entre pleinement en résonnance avec les principes fondamentaux de la défense des droits humains. En intégrant la dimension des droits de l’homme, la Convention-cadre vise ainsi à désenclaver la lutte antitabac de sa seule dimension sanitaire. A l’inverse, l’ampleur des dégâts engendrés par la culture, la fabrication, le transport et la consommation de tabac en font un enjeu essentiel dans la préservation et la défense des droits humains. L’activité des cigarettiers se traduit par des conséquences inédites et protéiformes, impliquant la nécessité d’inclure systématiquement et spécifiquement la question du contrôle du tabac dans la défense des droits humains.

 

Les dégâts du tabac

 

Le droit à la santé et à la vie

L’industrie du tabac est directement responsable de la mort prématurée de huit millions de personnes dans le monde chaque année, et de plus de 75 000 en France, soit 13% de la mortalité nationale, concentrant 19% de la mortalité des hommes, et 7% de celle des femmes[2].

Le tabac est un produit de consommation particulièrement dangereux : consommé sur la durée, il entraîne la mort prématurée d’un fumeur sur deux. Non seulement le tabac entraîne une réduction de l’espérance des fumeurs de l’ordre de 10 à 15 ans, mais il entraîne également une réduction de l’espérance de vie en bonne santé. Le cancer s’oppose ainsi au droit à la vie, mais également à la santé, en étant à l’origine de 17 localisations de cancer différentes, de maladies respiratoires chroniques er invalidantes, les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO), ou de l’augmentation de maladies cardiovasculaires précoces (AVC, infarctus)[3].

  • Les dégâts du tabagisme passif

Si l’industrie du tabac présente régulièrement le tabagisme comme une liberté et une prise de risque individuelles, les fumeurs ne sont toutefois pas les seules victimes de cette épidémie industrielle. Même à de faibles doses et pour une courte durée d’exposition, le tabagisme passif présente un danger. Par ailleurs, l’exposition à la fumée de tabac active les récepteurs nicotiniques, augmentant les risques pour l’individu de tomber dans l’addiction tabagique. Le tabagisme passif, longtemps démenti ou minimisé par l’industrie du tabac, se traduit par des conséquences humaines de grande ampleur, puisqu’il entraîne annuellement le décès prématuré de 1,2 million de personnes à travers le monde, soit encore plus que le nombre de victimes du sida[4].

  • Un désastre humain dans les pays à revenus faibles et intermédiaires

Si, à l’échelle de la planète, la consommation tabagique tend à diminuer, on observe en parallèle un déplacement du centre de gravité de la consommation tabagique mondiale. De ce fait, aujourd’hui, environ 80% des fumeurs vivent dans des pays à revenus faibles et intermédiaires[5]. Dans certains pays, la prévalence tabagique et nicotinique atteint des niveaux particulièrement élevés, comme en Jordanie, où 82% des hommes de plus de 18 ans sont consommateurs de nicotine. La diffusion de l’épidémie tabagique dans ces pays laisse présager un désastre humain et sanitaire à laquelle les pouvoirs publics ne sont bien souvent pas préparés.

 

Les dégâts environnementaux

L’industrie du tabac est l’une des industries les plus polluantes du monde. Cultivée en monoculture, la feuille de tabac est fragile, et demande de grandes quantités de fongicides, d’insecticides ou de régulateurs de croissance. L’utilisation massive de ces produits chimiques se traduit par une pollution durable des nappes phréatiques, des sols, de la faune et de la flore. Par ailleurs, la culture du tabac, très largement concentrée dans certains pays pauvres, est souvent réalisée sans protection pour les populations, les laissant au contact direct de produits particulièrement dangereux pour la santé.

L’industrie du tabac est également un facteur majeur de déforestation. Les monocultures de tabac épuisant les terres, il s’agit pour le cultivateur de trouver en permanence de nouvelles surfaces arables. Par ailleurs, le processus de séchage de la feuille de tabac, encore massivement réalisé par combustion de bois, en nécessite de grandes quantités, tout comme la production de papier et de carton pour les feuilles et les emballages. Cette surconsommation en bois est un phénomène à grande échelle : l’industrie du tabac est responsable à hauteur de 40% de la déforestation au Malawi depuis les années 70[6]. Ces pratiques, qui déstabilisent l’écosystème local, engendrent à la fois des inondations, et diminuent l’accès à l’eau, alors que 17% de la population n’a déjà pas accès à l’eau potable[7]. Ces pratiques, qui ne sont qu’un exemple de l’impact de l’industrie du tabac sur l’environnement, sont en totale contradiction avec les droits de l’homme, qui posent comme principe le droit de chaque être humain à vivre dans un environnement sain [8].

 

Droit au développement et droit à l’éducation

La culture du tabac, très largement concentrée dans certains pays à moyens et faibles revenus, comme le Brésil, le Malawi, ou encore le Zimbabwe, demande un travail particulièrement intense et très peu rentable. Pour permettre au cultivateur de dégager une faible marge, celui-ci est souvent contraint d’avoir recours à la main d’œuvre de l’ensemble de la famille, impliquant notamment le travail d’enfants. Pris dans les exploitations de tabac, les enfants sont ainsi éloignés de l’école, et voient leurs perspectives d’évolution réduites. De ce fait, la culture du tabac, au lieu d’enrichir les cultivateurs, tend davantage à les enfermer dans des cycles d’appauvrissement multigénérationnels. Cette industrie amène d’autant plus à appauvrir les cultivateurs que les cigarettiers, pour pousser les agriculteurs à se lancer dans la culture du tabac, proposent des prêts financiers et matériels aux paysans. Toutefois, la faible rentabilité de la feuille de tabac ne permet souvent pas aux agriculteurs de rembourser le prêt à la suite de la vente de la récolte, les enfermant dans un cercle vicieux d’endettement. Ces deux situations, allant souvent de pair, constituent une infraction majeure au droit à l’éducation et au droit au développement.

 

Le droit des enfants

  • Droit à la liberté et interdiction de l’esclavage

Le recours au travail des enfants est un phénomène de grande ampleur. On estime qu’environ 1,3 million d’enfants à travers le monde travaillent dans la production de tabac, et notamment dans la culture de sa feuille. Au-delà des déclarations d’intention de l’industrie du tabac, cette dernière est la première bénéficiaire de ce travail illégal. Au Malawi, le travail réalisé par une telle main d’œuvre a permis à l’industrie du tabac d’économiser 10,6 millions de dollars entre 2000 et 2016[9]. Le travail des enfants, tout comme le recours au travail d’adultes dans des conditions humaines et sanitaires dégradées, s’apparente à du travail forcé, et, à certains égards, à une forme d’esclavage moderne. En cela, ces pratiques, signalées comme un fait récurrent, s’opposent directement aux droits de l’enfant, ainsi qu’au droit fondamental à la liberté et à l’interdiction de l’esclavage. Des procédures sont actuellement en cours, notamment à l’encontre de British American Tobacco et Imperial Brands[10].

  • Les mineurs, cible fondamentale des fabricants

Le non-respect des droits de l’enfant ne se limite pas au seul cadre de la culture du tabac. En raison de la mortalité prématurée de ses consommateurs, l’industrie du tabac a en permanence besoin de recruter de nouveaux fumeurs. Plus un individu s’initie au tabagisme de manière précoce, plus les risques de développer une forte accoutumance à la nicotine sont élevés. Cette réalité implique pour l’industrie du tabac de cibler de manière prioritaire les jeunes générations. Le ciblage d’adolescents pour les initier à la nicotine, une drogue aussi addictive que l’héroïne, s’oppose par ailleurs à l’idée -largement soutenue par les cigarettiers- selon laquelle l’acte de fumer relèverait de la liberté individuelle.

Parce que le recrutement permanent de jeunes consommateurs est la condition sine qua non de la survie économique de l’industrie du tabac, celle-ci déploie tous les moyens possibles pour faire fumer les adolescents. Partout où elle le peut, l’industrie s’oppose à toutes les réglementations visant à protéger les jeunes (interdiction de vente de cigarettes à l’unité, hausses des taxes, interdiction de la publicité, etc). Lorsque ces réglementations sont posées, l’industrie du tabac, mobilisant régulièrement des moyens extralégaux, n’hésite par ailleurs pas à les enfreindre. En particulier, en France, de nombreuses infractions en matière de marketing et de publicité ont été constatées[11].

  • Tabagisme passif et droit de l’enfant

Enfin, la réalité du tabagisme passif constitue une atteinte profonde aux droits humains, et notamment aux droits de l’enfant. Il est établi que le tabagisme passif est associé à un risque pour la santé des individus qui le subissent, et augmente leurs probabilités de s’initier un jour au tabagisme. Pourtant, selon l’Organisation mondiale de la santé, près de la moitié des enfants à travers le monde sont régulièrement confrontés à la fumée de tabac dans les lieux publics, conduisant chaque année à la mort de 65 000 d’entre eux[12].

  • Droit à l’information

Pendant des décennies, l’industrie du tabac a cherché par tous les moyens à nier et à minimiser les conséquences du tabagisme actif et passif sur la santé des individus. Dans cette optique, les cigarettiers ont produit une quantité d’études contradictoires, et organisé des campagnes de dénigrement contre des scientifiques alertant sur les dangers du tabagisme.

Encore aujourd’hui, la désinformation est une activité consubstantielle des fabricants de tabac. Compte tenu de la nocivité inédite pour un produit de consommation courante, la désinformation est nécessaire aux cigarettiers pour empêcher toute forme de réglementation contraignante d’une part, et pour maintenir la norme tabagique auprès des consommateurs d’autre part. Les cigarettiers se sont ainsi systématiquement opposés à l’apposition d’avertissements sanitaires, et la composition comme les effets combinés de leurs ingrédients demeurent encore particulièrement opaques. De cette façon, alors que l’industrie du tabac fait du tabagisme un acte relevant d’un choix délibéré et individuel, tout indique que les fabricants cherchent à produire de la désinformation sur les risques réels associés à l’ensemble de leurs produits, de la cigarette manufacturée au tabac chauffé.

Ces pratiques, incompatibles avec le droit à l’information, s’opposent à la définition du choix, qui ne peut entrer en résonnance avec le concept de liberté qu’à la condition que le choix en question soit éclairé, ce qui est d’autant plus loin d’être établi pour les personnes mineures.

Par ailleurs, si l’impact du tabagisme sur la santé est un fait de plus en plus connu du grand public, les niveaux de connaissance en la matière demeurent très inégaux selon le statut économique et social des individus. Ces disparités peuvent ainsi participer à expliquer pourquoi les personnes les moins favorisées ont davantage tendance à être fumeuses que les autres, se traduisant par le renforcement des inégalités sanitaires.

  • « Droits des fumeurs » et « droits des non-fumeurs » : un piège tendu par les fabricants

L’existence supposée d’un « droit des fumeurs », tout comme celle d’un « droit des non-fumeurs », ne repose sur aucune base juridique. Comme énoncé précédemment, les droits humains s’appliquent à tous les individus, indépendamment de leurs spécificités. Une exception existe toutefois en matière de droits des enfants, qui postulent la nécessité d’une protection particulière en raison de leur plus grande vulnérabilité.

De fait, les droits humains reposent sur une idéologie universaliste et égalitariste, incompatible avec la promotion de droits communautaires et catégoriels. L’opposition entre fumeurs et non-fumeurs appartient à la rhétorique de l’industrie du tabac, qui vise, en faisant croire à l’existence de droits spécifiques aux fumeurs, à bloquer toute tentative du législateur de réglementer le tabagisme, et à opposer artificiellement les fumeurs aux non-fumeurs.

La notion de droit des fumeurs doit ainsi être substituée à celle de tolérance à l’égard de leur consommation.  Cette tolérance, dessinant les contours d’une relative liberté de fumer, peut toutefois être restreinte.

De la même manière, il n’existe pas non plus un droit des non-fumeurs : les différentes réglementations en matière de santé publique visent à garantir les droits élémentaires de tous les individus, indépendamment de leur statut tabagique. Ainsi, les interdictions de fumer ont vocation à protéger à la fois les non-fumeurs, mais également les fumeurs, exposés à un risque majoré.

  • Droit à la sécurité

L’implication massive de l’industrie du tabac dans l’organisation et la facilitation du commerce illicite mondial est aujourd’hui largement documentée[13]. Encore aujourd’hui, un nombre croissant de preuves tend à démontrer que les fabricants de tabac continuent ces pratiques, et en demeurent les premières bénéficiaires. Par exemple, une investigation menée par un réseau international de journalistes, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), a montré en 2021 que les multinationales du tabac surapprovisionnaient délibérément et massivement des marchés nationaux en Afrique de l’Ouest, tout en sachant qu’une grande partie de ces produits du tabac inonderaient les réseaux de contrebande[14]. Pourtant, cette dernière demeure aujourd’hui une source de financement et de militarisation de la criminalité organisée, des milices ethniques, et des groupes djihadistes. Selon Transparency International, le commerce illicite de tabac est aujourd’hui l’un des premiers facteurs de déstabilisation dans la région. Au regard de ces informations, les pratiques de l’industrie du tabac apparaissent diamétralement opposées au droit à la sécurité des personnes.

 

II. Des causes qui se renforcent l’une l’autre

La lutte contre le tabagisme permet de renforcer la protection des droits humains

Au regard des dégâts protéiformes causés par le tabagisme et l’activité même des cigarettiers, le contrôle du tabac est un levier essentiel dans le renforcement de la protection des droits humains dans leur ensemble.

 

Les maladies non transmissibles

Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’importance des maladies non transmissibles (MNT), également appelées maladies chroniques (cancer, diabètes, maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoires etc) a presque doublé en deux décennies. En 2019, sur les dix principales causes de décès prématurés, sept étaient des maladies non transmissibles, contre quatre en 2000. Si cette évolution trouve son explication dans des facteurs génétiques, physiologiques, environnementaux et comportementaux, l’importance grandissante des maladies chroniques s’explique par la diffusion d’épidémies industrielles[15].

Selon l’OMS, le tabac est le premier facteur de risque évitable des maladies chroniques.  En 2011, le tabagisme était responsable d’une MNT sur 6,4. La consommation de tabac constitue par ailleurs un facteur de risque pour six des huit principales causes de décès dans le monde. L’explosion des MNT représente également un lourd fardeau économique pour les collectivités, et constituent de fait une entrave au développement des pays à faibles et moyens revenus. La pleine mise en œuvre de la CCLAT, à travers des mesures phares comme la hausse des taxes, l’interdiction de la publicité pour le tabac, la généralisation du paquet neutre et des avertissements sanitaires, la systématisation des lieux sans tabac, permettrait d’endiguer l’épidémie tabagique, et ainsi la hausse des MNT qui lui est associée.

 

Les Objectifs de développement durable

Les Objectifs de développement durable (ODD), définis par l’Organisation des nations unies, établissent une feuille de route visant à allier développement économique, protection de l’environnement, et préservation des besoins sociaux, comme la santé ou l’éducation[16]. Au nombre de 17, les ODD recouvrent un large champ d’objectifs, comme la lutte contre la pauvreté, contre la faim, la préservation de la santé et du bien-être, la promotion de l’éducation, l’égalité des sexes, l’accès à une eau propre, à une énergie durable, un travail décent et une croissance économique, un investissement dans les industries et les infrastructures, la réduction des inégalités, des villes durables, une consommation et une production durables, la lutte contre le changement climatique, la préservation de la vie aquatique, celle de la vie terrestre, et enfin celle de la paix, de la justice des institutions. Par son activité, l’industrie du tabac s’oppose directement à au moins 13 de ces 17 objectifs. De ce fait, la lutte contre le tabagisme et contre les pratiques des cigarettiers contribuerait fortement à amorcer une transition vers un modèle de développement durable.

  • Le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)

L’application des réglementations en matière de contrôle du tabac, ainsi que la réduction de la prévalence tabagique de la population permettent de favoriser l’atteinte d’objectifs définis par un certain nombre d’engagements internationaux. C’est notamment le cas du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), aujourd’hui ratifié par 171 pays, et qui cherche à garantir aux individus le droit à la santé, à l’éducation, ou à un niveau de vie suffisant. Comme il a été démontré plus haut, la lutte contre le tabac s’inscrit pleinement dans la défense de ces différents droits humains.

 

Les droits humains comme levier de réduction de la consommation tabagique

A l’inverse, systématiser l’intégration du paradigme des droits humains dans le contrôle du tabac est susceptible de renforcer les stratégies de réduction du tabagisme, pour parvenir à une prochaine génération sans tabac.

 

Les droits humains, un levier de pression réglementaire

  • La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes 

Le lien entre respect des droits humains et contrôle du tabac est souligné par la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, qui pose comme principe directeur la nécessité pour les Parties d’harmoniser la lutte antitabac avec l’ensemble des textes relatifs à la défense des droits humains.

Par ailleurs, par son article 4.7, la CCLAT rappelle le rôle essentiel qui doit être joué par la société civile pour faire progresser le contrôle du tabac, en particulier par les organisations de défense du droit des femmes. Cette injonction trouve une justification dans le fait que, d’une part, la consommation de tabac est associée à un risque sanitaire sexospécifique chez les femmes, et que d’autre part, l’industrie du tabac développe des stratégies marketing spécialement destinées à celles-ci. Ces deux raisons conduisent à un bilan humain particulièrement lourd. Ainsi, en France, le nombre de décès attribuables au tabagisme a doublé entre 2000 et 2013 en France chez les femmes[17].

A ce titre, il est possible de lutter contre l’épidémie tabagique en tant qu’enjeu de discrimination du droit des femmes, à travers la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Les défenseurs de la lutte antitabac peuvent, à travers la publication d’un rapport, exhorter la Convention à faire pression sur les Parties pour mettre en place des politiques publiques de réduction du tabagisme. En d’autres termes, en adoptant le langage et les outils juridiques relatifs aux droits humains, la santé publique dispose d’un autre levier de persuasion pour faire avancer la réglementation sur le tabac.

 

Lire le rapport préparé par le CNCT, ASH Washington et l’ACT sur la situation du tabagisme féminin en France

 

  • L’importance de la société civile et des droits humains dans l’interdiction du menthol aux Etats-Unis

Il en va de même pour l’ensemble des droits humains. Ainsi, en 2009, la signature du Tobacco Control Act par Barack Obama, donnant la compétence à la Food and Drug Administration américaine (FDA) sur les produits du tabac et de la nicotine, a permis de mettre en place un certain nombre de réglementations fédérales de contrôle du tabac, comme l’interdiction des arômes, à l’exception de celle du menthol. Or, la saveur menthol, faisant l’objet d’un marketing particulièrement intensif de la part de l’industrie, est un véritable marqueur ethnique : entre 85% et 90% des fumeurs afro-américains consomment du menthol, contre moins de 30% des fumeurs blancs[18].

Cette situation, renforçant les inégalités sanitaires entre communautés ethniques, a poussé la société civile afro-américaine à se mobiliser en faveur d’une interdiction du menthol, au nom du droit des minorités. Par ailleurs, l’explosion de la consommation des cigarettes électroniques mentholées auprès de la jeune génération a également conduit les associations familiales américaines à rejoindre le mouvement, au nom de la protection du droit des enfants. Ainsi, c’est la mobilisation de la société civile, agrégée autour de la défense des droits humains, qui a permis d’adresser une pétition à la FDA, qui s’est soldée par l’interdiction du menthol au niveau fédéral.


Droits humains et contentieux judiciaires

La mobilisation du paradigme des droits humains peut également s’avérer utile dans le cadre de contentieux judiciaires avec l’industrie du tabac. Cette dernière, par son activité même, étant particulièrement préjudiciable à la garantie des droits humains, peut être tenue responsable des dégâts qu’elle occasionne.

Jusqu’à présent, cette responsabilité se cantonne à la responsabilité morale, c’est-à-dire à l’entité juridique de l’entreprise. Or, la loi Pacte a inscrit en 2019 une nouvelle obligation pour les entreprises : celle de gérer la société dans l’intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux. A ce titre, rien n’interdit de considérer que les dirigeants de la société pourraient être tenus responsables d’une violation de l’intérêt social s’ils ne prennent pas en compte, dans leur gestion courante de l’activité de l’entreprise, le respect des enjeux sociaux et environnementaux. Le non-respect des droits humains, consubstantielle à l’activité des fabricants, pourrait donc fonder une action en responsabilité à l’encontre des dirigeants des compagnies de tabac.

 

Industrie du tabac et responsabilité sociale des entreprises

La responsabilité sociale (ou sociétale) des entreprises (RSE) est définie par la Commission européenne comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ».

Suivant et donnant l’exemple à d’autres industries polluantes (pétrole, chimie, alimentaire…), l’industrie du tabac utilise la RSE pour redorer son image et se présenter comme un acteur économique citoyen et préoccupé du bien-être général. C’est en jouant sur cette RSE que certains cigarettiers (BAT, Altria) ont investi dès 2000, le Pacte Mondial des Nations Unies (UNGC), dont le but est de concilier RSE et droits humains. C’est aussi au titre de la RSE que BAT, PMI et JTI ont initié un programme censé combattre le travail infantile qui leur a permis de nouer des partenariats avec l’UNICEF. Dans ce même élan, PMI a engagé en 2016 un partenariat avec l’Institut Danois pour les Droits Humains, auquel ce dernier mit fin, l’année suivante, en mentionnant : « Le tabac est profondément nocif pour la santé et il ne fait nul doute que la production et la commercialisation de ces produits sont inconciliables avec les droits humains à la santé. L’industrie du tabac devrait cesser toute production et commercialisation de ses produits, c’est la seule option pour elle de respecter les droits humains ».

L’objectif de l’industrie, découvert dans des archives dévoilées par décision de justice, était d’infiltrer l’ONU pour neutraliser à la fois l’OMS et le traité de la Convention Cadre pour la Lutte AntiTabac. En contradiction manifeste avec les principes de l’ONU, de l’UNICEF et de l’UNGC, les industriels du tabac ont été expulsés en 2017 de ces instances, auxquelles elles n’auraient en principe jamais dû pouvoir adhérer.

On trouve ici une illustration des principes énoncés dans les articles 5.3 et 13 de la CCLAT, où la RSE peut être considérée comme une stratégie de promotion et de publicité pour l’industrie du tabac.

 

 

Les conséquences de la pandémie de COVID-19

La pandémie de COVID-19 a été l’occasion pour les industriels du tabac de s’activer sur tous les fronts, afin de maintenir leurs activités et leurs niveaux de vente :

* Sous couvert de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), ils ont fourni des vaccins et des contributions financières aux actions sanitaires contre la COVID-19 dans plusieurs pays, y compris industrialisés. La communication accompagnant ces aides aux politiques vaccinales a pour objectif d’asseoir les entreprises du tabac en tant qu’acteurs de santé publique, et d’outrepasser ainsi l’article 5.3 de la CCLAT ;

* Familiers des actions de désinformation et de la manipulation de données scientifiques, ils ont donné une forte résonance à un supposé effet protecteur, non démontré, de la nicotine contre le virus SARS-COV-2, en occultant les données indiquant des risques multipliés de formes graves de la COVID-19 chez les fumeurs ;

* Ils ont, en parallèle, joué sur la crainte de la COVID-19 pour promouvoir le segment des cigarettes électroniques et du tabac chauffé/grillé en tenant un discours de réduction des risques, en particulier auprès des jeunes et des adolescents via les réseaux sociaux ;

* Profitant de la perturbation des politiques sanitaires, ils ont intensifié les interventions pour empêcher l’adoption ou l’application de mesures de lutte contre le tabagisme, et pour abroger certaines dispositions existantes, notamment en Afrique et en Asie du Sud-Est. Le gouvernement Sud-Africain a ainsi été poursuivi en justice par l’industrie du tabac pour avoir promulgué une interdiction des ventes de tabac, que certains cigarettiers ont contourné en alimentant les réseaux de contrebande et en effectuant des livraisons aux particuliers via la vente en ligne ;

* Ils ont profité de cette période pour exercer un lobbying en faveur du maintien des arômes mentholés, qui ont pourtant été pointés comme des facteurs aggravants de la COVID-19 chez les fumeurs.

 

 

L’approche actuelle de l’industrie du tabac : la réduction des risques

En addictologie, la réduction des risques et des dommages (RDRD) incite entre autres à réduire les pratiques à risques et à diminuer les consommations, afin de limiter les dommages sanitaires.

Tirant partie de ce postulat et du succès des cigarettes électroniques, l’industrie du tabac a développé ces dernières années un discours qui tente de s’approprier celui de la RDRD. Ce discours est principalement porté par Philip Morris, notamment via sa fondation, la Fondation pour un monde sans fumée (FSW) et par BAT. Il est cependant également repris par Japan Tobacco et par Imperial Brands. Il consiste à regretter en apparence la consommation de tabac fumé – dont l’industrie du tabac tire l’essentiel de ses revenus et qu’elle continue de défendre – et à proposer d’autres produits supposément moins nocifs.

Cette stratégie, déjà initiée autrefois à l’aide des filtres de cigarettes, puis des cigarettes dites « légères », prend depuis quelques années un autre tour, le nouvel axe de communication étant de devenir une industrie de la nicotine non fumée. En multipliant les nouveaux produits, qu’il s’agisse de vapotage, de tabac chauffé ou grillé, de sachets de tabac ou de nicotine à sucer, en attendant d’autres modalités, l’industrie du tabac déclare prendre soin des fumeurs qu’elle a pourtant rendu dépendants. En s’orientant progressivement vers le « bien-être » et en prétendant apporter aux fumeurs une aide de type thérapeutique évoquant l’aide au sevrage tabagique, les industriels tentent d’adopter une posture paramédicale et de s’inscrire parmi les acteurs de santé publique. S’inspirant du discours des droits humains, ils font valoir le gain d’autonomie dont bénéficieraient les fumeurs, ainsi que leur droit à la santé pour empêcher les restrictions d’accès à ces types de produits.

En l’absence d’une évaluation comparée et solide des différents produits de tabac, qu’on pourrait considérer comme une base du droit à l’information, les industriels entretiennent une confusion délibérée en plaçant au même niveau les cigarettes électroniques et les dispositifs de tabac chauffé ou grillé. Ils proclament nourrir ce droit à l’information en proposant des produits de substitution aux fumeurs adultes, mais inondent les réseaux sociaux de publicités ciblant les jeunes, en contradiction avec le droit des enfants et la CCLAT. Leurs arguments ont cependant davantage pour objectif d’élargir leur marché, d’augmenter les marges bénéficiaires et de maintenir les fumeurs dans la dépendance nicotinique que de proposer de véritables alternatives au tabac.

 

 

III. Recommandations

 

Communiquer dans le cadre de coalitions nationales et internationales sur la question du tabac et des droits humains, ainsi que sur les pratiques de l’industrie, attentatoires aux droits humains

Décrypter le détournement de la thématique de la défense des droits humains par l’industrie du tabac

Intégrer la défense des droits humains dans les différentes mesures de contrôle du tabac, et en particulier

  • Dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques (article 5.3) ;
  • Dans l’adoption des mesures de protection à l’égard du tabagisme passif (article 8) ;
  • Dans les mesures de contrôle des ingrédients et informations sur les produits articles 9 et 10) ;
  • Dans les messages sanitaires sur les paquets, après étude d’un avertissement spécifique aux droits humains (article 11) ;
  • Dans les campagnes d’information et de sensibilisation (article 12) ;
  • Intégrer un volet dans les formations par exemple dans les diplômes universitaires de tabacologie et addictologie (article 12) ;
  • Dans le décryptage des campagnes marketing de l’industrie du tabac (article 13) ;
  • Dans la promotion du sevrage (article 14) ;
  • Dans l’implication de l’industrie du tabac dans les réseaux de contrebande et la criminalité organisée (article 15) ;
  • Dans la préservation de l’accès aux produits du tabac par l’interdiction de vente aux mineurs et par les mineurs (article 16) ;
  • Dans les atteintes à l’environnement (article 18) ;
  • Inclure la problématique de la défense des droits humains dans la prévention judiciaire (article 19).

La France et l’Union européenne doivent jouer un rôle de premier plan dans ce domaine, en particulier

  • Au niveau de la Conférences des Parties de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac ;
  • Au niveau des rapports liés aux cycles des conventions internationales relatives aux droits humains, à l’instar de la CEDAF, CDE ;
  • Dans les politiques publiques du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ;
  • Dans les politiques publiques au niveau national, qui doivent inclure une dimension transversale, dans un objectif de développement durable ;

 

Ressources additionnelles :

Lire le rapport préparé par le CNCT, ASH Washington et l’ACT sur la situation du tabagisme féminin en France (PDF)

Plaquette – Lutter contre l’épidémie tabagique pour renforcer les droits humains (PDF)

 


[1] Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, texte intégral.

[2] Bonaldi C, Boussac M, Nguyen-Thanh V. Estimation du nombre de décès attribuables au tabagisme, en France de  2000 à  2015. Bull Epidémiol Hebd. 2019

[3] Pasquereau A, Deutsch A, Richard JB, Guignard R, Andler R, Estaquio C. Tabac et cancer. Perception des risques en 2015 et évolutions récentes. Baromètre cancer 2015. Saint Maurice : Santé publique France, 2019. 18 p

[4] Organisation mondiale de la santé, Tabac, 26/07/2021, (consulté le 24/11/2021)

[5] Organisation mondiale de la santé, Rapport de l’OMS sur l’épidémie mondiale de tabagisme : offrir une aide à ceux qui veulent renoncer au tabac, 2019, (consulté le 24/11/2021)

[6] Action on smoking and health (ASH), Big Tobacco’s Big Environmental Impact, 06/02/2019, (consulté le 24/11/2021

[7] Annie Mwayi Mapulanga and Hisahiro Naito, Effect of deforestation on access to clean drinking water, Proceedings of the National Academy of Science, 23 avril 2019, (consulté le 24/11/2021)

[8] United nations, Human rights office of the high commissioner, Bachelet hails landmark recognition that having a healthy environment is a human right, 08/10/2021, (consulté le 24/11/2021)

[9] Torres L, The smoking business, tobacco workers in Malawi, Institute for Applied Social Science, 2000

[10] The Guardian, UK tobacco firms fail in bid to have Malawi child labour case struck out, 25/06/2021, (consulté le 24/11/2021)

[11] Comité national contre le tabagisme, La justice confirme le caractère illégal des publicités pour le vapotage du fabricant British American Tobacco, 12/10/2021, (consulté le 24/11/2021)

[12] Organisation mondiale de la santé, Tabac, 26/07/2021, (consulté le 24/11/2021)

[13] Gilmore AB, Gallagher AWA, Rowell A. Tobacco industry’s elaborate attempts to control a global track and trace system and fundamentally undermine the Illicit Trade Protocol. Tob Control. 2019;28(2):127-140. doi:10.1136/tobaccocontrol-2017-054191

[14] OCCRP, Marlboro’s Man: Philip Morris’ Representative in Burkina Faso is a Known Cigarette Smuggler, 26 février 2021, (consulté le 24/11/2021)

[15] Organisation mondiale de la santé, Maladies non transmissibles, 13/04/2021, (consulté le 24/11/2021)

[17] Bonaldi C, Andriantafika F, Chyderiotis S, Boussac-Zarebska M, Cao B, Benmarhnia T, et al. Les décès attribuables au tabagisme en France. Dernières estimations et tendance, années 2000 à 2013. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(30-31):528-40. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/30-31/2016_30-31_7.html

[18] Gardiner PS. The African Americanization of menthol cigarette use in the United States. Nicotine Tob Res. 2004 Feb;6 Suppl 1:S55-65

 

 

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