Vente de tabac aux mineurs : selon la Cour de Cassation, la violation de la réglementation entraine un préjudice pour la lutte antitabac
Paris, le 26 mars 2024 – Dans une décision rendue le 27 février (Crim. 27 févr. 2024, F-B, n° 23-82.000), la chambre criminelle de la Cour de Cassation a indiqué que la seule violation de l’interdiction de vente de produits du tabac aux mineurs est de nature à causer un préjudice moral indemnisable au Comité national contre le tabagisme (CNCT), sans qu’il lui incombe de démontrer l’existence du préjudice subi. L’objet statuaire de l’association ne se limite pas à la lutte contre la publicité en faveur des produits du tabac mais concerne plus généralement la lutte contre le tabagisme.
Le CNCT, en partenariat avec l’UNAF et le soutien du Fonds de lutte contre les addictions, est engagé de longue date dans une action continue pour renforcer l’effectivité de la mesure d’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs. Bien qu’il soit interdit de vendre du tabac aux mineurs depuis 20 ans, cette mesure reste très peu respectée par les buralistes puisqu’ils sont encore deux tiers à vendre du tabac à des mineurs.
Dans ce contexte, l’association réalise régulièrement des phases d’observation de certains lieux de vente dans plusieurs villes de France avant de procéder dans un second temps sous contrôle d’huissier au sein des mêmes établissements, informés, à l’évaluation du respect de la mesure d’interdiction de vente de tabac.
Les méthodes d’action et l’objet statuaire de l’association contestés
Dans un délibéré rendu le 9 janvier 2023, le Tribunal de police de Reims a considéré qu’il pouvait condamner le buraliste ayant vendu du tabac à la personne mineure lorsque les faits étaient reconnus par le prévenu, mais qu’il devait le relaxer lorsque la preuve de l’infraction ne reposait que sur les constats d’huissier du CNCT. L’association a ainsi fait appel de quatre des cinq jugements de relaxe prononcés afin de faire constater l’existence d’une faute civile par la Cour d’appel, amenée à se prononcer sur la valeur des constats établis.
Les juges du fond ont rendu une série de décisions contradictoires, puisqu’en mars 2023, la Cour d’appel de Reims a dans un premier temps débouté le CNCT de ses demandes civiles, en considérant qu’il n’avait pas subi de préjudice direct et certain puisque la vente du tabac n’avait pas engendré de publicité en faveur du tabac, et que l’association avait provoqué la faute du prévenu en utilisant la méthode du « client-mystère » avec un mineur âgé de 17 ans.
Dans un second délibéré du 23 août 2023, la même juge a cette fois condamné les deux autres buralistes en précisant « (…) il n’en demeure pas moins que c’est au gérant de l’établissement de respecter lui-même l’interdiction imposée par la loi, (..) et qu’en cas de doute sur la majorité ou la minorité de l’acheteur, il doit vérifier son âge. Dans ces conditions, ces agissements constituent une faute civile ». (CA de Reims, Ch. Corr., 23/08/23, CNCT c/ SNC L. et SNC V.).
La vente de tabac aux mineurs cause bien un préjudice moral indemnisable
La Cour de cassation, s’est ici prononcée à la suite du pourvoi formé par le CNCT concernant la relaxe de deux débitants rémois en appel. Si elle ne se prononce pas directement sur la méthode « client mystère » utilisée par le CNCT, elle relève que la Cour d’appel ne pouvait, sans se contredire, constater une faute civile en se fondant sur la preuve apportée par la partie civile du comportement incriminé d’une part, et refuser d’autre part, de l’indemniser en considérant que cette faute aurait été provoquée par la partie civile elle-même. La cassation est donc encourue pour contradiction de motifs.
Dans sa décision, la chambre criminelle précise également que « l’objet statutaire du CNCT ne se limite pas à la lutte contre la publicité en faveur des produits du tabac, mais concerne plus généralement la lutte contre le tabagisme ». Ainsi « la seule violation de la réglementation applicable en la matière [ici la vente de tabac aux mineurs] est de nature à causer à l’association concernée un préjudice moral indemnisable ».
Ainsi, la Cour de cassation affirme qu’il n’incombe pas au CNCT de démontrer l’existence d’un quelconque préjudice. Compte tenu de la mission de l’association qui est de lutter contre le tabagisme, la seule vente de tabac à un mineur lui cause un préjudice moral indemnisable. En l’espèce, ce non-respect de la réglementation constituait bel et bien une infraction pour laquelle l’association pouvait agir en tant que partie civile, celle-ci ayant subi un dommage direct et personnel par la seule commission de l’infraction.
Cette décision marque une jurisprudence essentielle en confirmant l’existence d’un préjudice direct et personnel du CNCT, de même la lutte contre le tabagisme en général, du seul fait qu’une infraction à l’interdiction de vente de tabac aux mineurs ait été commise.