Le mot du président d’honneur pour Claude Got
Claude Got, l’homme au pull bleu
par Gérard Dubois
Claude Got, grande figure de la santé publique française, est décédé le 11 août en Belgique. Innombrables sont les Français qui lui doivent la vie, la plupart sans le savoir.
Professeur d’anatomo-pathologie, il exerçait près d’un lieu où les accidents de circulation étaient particulièrement nombreux (l’hôpital de Garches) et s’il a développé les connaissances techniques, créant l’accidentologie, prônant la ceinture de sécurité (sécurité passive) et les limites de vitesse (sécurité active), il est aussi l’homme qui a répété inlassablement dans les médias que l’alcool était à l’origine de 40% des décès par accidents de circulation. C’est un formidable changement de focale. En passant de l’analyse des cadavres aux mesures pour que cesse le massacre, l’expert relevait la tête pour élargir son champ d’intérêt, jusqu’aux implications décisionnelles.
S’il accepte d’être membre du Cabinet de Simone Veil puis de celui de Jacques Barrot (1974-81), il conteste en 1984 l’introduction par la nouvelle majorité de la publicité pour l’alcool en faveur de la première chaîne privée de télévision Canal+). Reniant ses promesses, le gouvernement suivant, né d’un nouveau changement de majorité, veut au contraire étendre le champ de la publicité pour l’alcool à l’ensemble des chaines de télévision. Face à l’inaction de Michelle Barzach, alors ministre de la santé, il démissionne avec fracas du Haut comité d’études et d’information sur l’alcoolisme qui vient de lui être rattaché. J’ai alors organisé et médiatisé journellement une mobilisation médicale qui conduit en quelques jours le Premier ministre (Jacques Chirac) à rétablir l’interdiction de la publicité télévisée pour l’alcool à la télévision. La veille, sur une demi-page dans Le Monde, nous appelions à des donations dont l’utilisation serait garantie par Jean Bernard, Jean Dausset et François Jacob. Ce succès est une première, car en une semaine, les puissants lobbys de l’alcool et de la publicité sont pris de court. C’est une victoire éclair. Claude Got est ainsi devenu, certes un expert en santé publique, mais de celle qui agit plus qu’elle ne cause.
Le groupe s’élargit avec François Grémy† (informatique médicale et santé publique), Maurice Tubiana† (cancérologie, tabac), Albert Hirsch (pneumologie, tabac). Les médias le nomment les « Cinq Sages ». Interrogeant les candidats à la présidence de la République en 1988 avec pour slogan, tabac-alcool-vitesse=100000 morts, leur action débouche sur la demande d’un rapport sur la santé publique par le ministre en charge de la santé, Claude Evin. Ce rapport de 22 pages a le soutien du ministre mais pas du gouvernement, jusqu’à ce qu’un sondage montre qu’il est soutenu par 2 Français sur 3. Le Premier ministre (Michel Rocard) en conclut « Les docteurs ont gagné ». Les 5 Sages participent alors activement à l’élaboration et à la défense médiatisée (des centaines d’articles et d’interviews) de ce qui devient la loi Evin votée le 10 janvier 1991. Albert Hirsch puis Gérard Dubois président le Comité national contre le tabagisme avec pour mission principale l’application de l’interdiction de la publicité pour le tabac. Maurice Tubiana puis Gérard Dubois président l’Alliance contre le tabac qui déclenchera en 2006 la campagne pour l’interdiction de fumer dans les lieux clos et couverts accueillant du public, mais ceci est une autre histoire.
Le groupe s’est ensuite agrandi et a continué à interroger à chaque élection présidentielle tous les candidats sur leur position en matière de santé publique. Claude Got tenait à jour le site http://www.securite-sanitaire.org qui comporte tous les textes. En 2022, le groupe a mué en Club Santé Publique. Les questions portaient sur le tabac, l’alcool, le cannabis, la nutrition, la sécurité routière, le système de santé et la vaccination mais pour la première fois un candidat du second tour ne nous répondit pas, le président actuel. Ce fut la dernière participation de Claude Got à ce groupe fondé sur sa démission courageuse de 1987.
Claude Got aimait la conversation mais il avait une très grande capacité d’analyse et de synthèse. Ses raisonnements implacables et persuasifs agaçaient car ils débouchaient sur les mesures à prendre. De son expérience dans un Cabinet ministériel, il avait conclu que les politiques et les administrations étaient englués dans de fausses urgences quotidiennes qui cachaient les vraies, situation aggravée par la poursuite d’intérêts à court terme. Cependant on pouvait les bousculer lorsqu’ils découvraient que les « évidences » scientifiques (aux sens français et anglais) avaient la faveur de l’opinion publique. Il en fut ainsi pour la ceinture de sécurité, la loi Evin, et l’interdiction de fumer dans les lieux clos et couverts.
Claude Got était un grand homme de santé publique. Pas un causeur, un faiseur. C’était un homme d’une intelligence rare, d’une finesse extrême, doté d’une capacité de travail considérable. Il était capable d’accumuler sur certains sujets une somme de connaissances incroyables qu’il savait restituer avec une très grande clarté grâce à une exceptionnelle capacité de synthèse. Ceux qui parlent de santé publique, il y en a beaucoup. Ceux qui la font avancer, beaucoup moins. C’est la raison pour laquelle il fut aussi sollicité sur des sujets aussi difficiles que l’amiante ou le sida. Ces rapports firent autorité.
Claude Got a refusé tous les honneurs, portait toujours le même pull bleu mais tricoté régulièrement par sa femme. Il s’exprimait en langage clair, compréhensible par tous, avec calme, retenue mais conviction. Ces qualités médiatiques ont largement contribué à la constitution en France d’une vox populi favorable aux grandes mesures de santé publique concernant les accidents, le tabac et l’alcool et il veilla toujours à préserver sa réputation d’expert alliant avec maestria la compétence, l’indépendance et la transparence. C’est un grand médecin au profil unique qui nous a quitté.
Crédit photo : Bruno Charoy / Pasco&co