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La création de l’illusion d’un soutien aux positions de l’industrie du tabac

La création de l’illusion d’un soutien aux positions de l’industrie du tabac

L’utilisation de groupes de façade par l’industrie du tabac est une stratégie bien connue d’interférence de l’industrie du tabac pour faire porter sa voix.

Les « groupes de défense des fumeurs », une stratégie bien connue de l’industrie pour faire porter sa voix

 

Les années de mensonge et de désinformation de l’industrie du tabac ont creusé un tel fossé entre l’industrie du tabac et la société qu’elle doit faire appel à des « groupes de façade » pour soutenir ses idées ou du moins faire croire qu’elle est soutenue
Aujourd’hui en France, ces groupes de façade en France renvoient essentiellement à des associations de défense des fumeurs.

La mobilisation de groupes de fumeurs est particulièrement importante pour l’industrie du tabac car en faisant appel à des tiers, l’industrie multiplie les prises de paroles dans le débat. Compte tenu de surcroît que l’opinion publique sur le sujet du tabac est largement favorable à la cause mais fondamentalement passive et ne s’exprime pas de manière ostensible, cette prise de parole prend des proportions beaucoup plus importantes encore que ce que représentent in fine les représentants concernés. Ce type d’organisations ne fait jamais état de ses liens financiers avec les fabricants de tabac, au contraire, il fait croire à un mouvement de « soutien populaire spontané », apportant ainsi plus de crédibilité aux messages portés.

Les chercheurs Smith et Malone[1] ont étudié la question des « groupes de défense des droits des fumeurs ».

Selon eux, depuis la fin des années 70, l’industrie a créé et organisé ces groupes dans un nombre important de pays, dont la France. Comprenant que l’acceptation des messages à propos de la fumée dépendait de qui tenait ces propos, un document interne de Philip Morris suggérait d’adopter différentes casquettes : « nous devrons nous présenter parfois comme des scientifiques ou hommes d’affaires indépendants, parfois comme des représentants du secteur, parfois encore comme de simples fumeurs« .

Principalement financés par les cigarettiers, les objectifs de ces structures sont de « maintenir la controverse » sur le tabagisme passif, et de centrer le débat sur le fumeur plutôt que sur l’industrie ou les méfaits. Ces groupes s’opposent aux lois d’interdiction de fumer dans les lieux publics, mais également aux hausses des taxes ou à toute « discrimination » contre les fumeurs. Mais le principal objectif de ces associations est avant tout de faire perdurer l’acceptabilité sociale du tabagisme.

Ces groupes réussissent rarement à recruter un nombre important de fumeurs, car les fumeurs ne se définissent pas comme tels et une grande majorité d’entre eux souhaiterait ne jamais avoir fumé et soutiennent les mesures de lutte anti-tabac. Les fabricants de tabac espéraient que ces groupes motiveraient les fumeurs à « se battre pour leurs droits », tel n’a pas été le cas mais encore une fois la communication orchestrée laisse penser à une telle mobilisation de fumeurs.

Parmi leurs stratégies de rhétorique, on retrouve les éléments de discours suivants :

  • Fumer est un droit ;
  • Les fumeurs sont des victimes (« l’industrie a réalisé qu’exclure la fumée d’une zone ne semble pas injuste, mais exclure les fumeurs peut l’être, les groupes de défense ont donc focalisé cette injustice en positionnant les fumeurs comme des victimes« ) ;
  • Les activistes de la lutte antitabac sont des persécuteurs, avec en corollaire le vocabulaire suivant : « nouvel apartheid », « lois fascistes », « fanatiques », « intolérants », « ayatollahs » ;
  • Le compromis doit être privilégié sur la question de la fumée passive.

[1] Smith EA. et Malone RE. (2007), ‘We will speak as the smoker’: the tobacco industry’s smokers’ rights groups. Eur J Public Health. Jun;17(3):306-13 

 

L’Union pour les Droits des Fumeurs Adultes, mai 2012

Mai 2012, création d’une association de défense des fumeurs 

Dimanche 27 mai 2012, 3 jours avant la Journée Mondiale Sans Tabac (JMST), le JDD, l’AFP, et Europe1 annoncent la création d’une association de défense des fumeurs « l’Union pour les Droits des Fumeurs Adultes » (UDFA).
Très vite, l’information est reprise par l’ensemble des titres de presse. Elle est relayée abondamment sur le réseau Twitter et est reprise jusque dans les médias étrangers, notamment car l’AFP diffuse une seconde dépêche en version anglaise.

La nouvelle tourne en boucle sur les chaînes de télévision d’information.
De nombreuses radios diffusent également l’information avec reprise des déclarations de la Présidente, Nathalie Masseron ; certaines y consacrent des émissions avec des discussions qui tournent rapidement à des débats sur la liberté de fumer. La radio RMC consacre toute sa matinale à cette nouvelle association.

L’information est bien reçue par le site Le monde du tabac, organisation écran de la Confédération des Buralistes :« C’est un premier accueil médiatique bienveillant (sur les sites des médias, en ce dimanche de Pentecôte, après deux dépêches AFP et un flash sur Europe 1) qui a suivi l’annonce, ce dimanche 27 mai, de la création de l’Union des Fumeurs pour Adultes. Ce lundi 28 mai, l’association a fait encore l’objet d’un sujet et d’un débat avec les auditeurs sur RMC dans l’émission Bourdin and Co. Il semble que les messages, développés par la présidente Nathalie Masson lors de ses interviews, aient été compris comme un mouvement de limitation aux entraves à la liberté de fumer. »

La Journée Mondiale Sans Tabac du 31 mai est un « marronnier » qui donne l’occasion aux acteurs de santé publique d’alerter et de rappeler l’urgence sanitaire sur le fléau du tabagisme. Pourtant, les communications de ces acteurs et en particulier celle des associations de lutte contre le tabagisme autour du 31 mai qui avait justement pour thème l’ingérence de l’industrie du tabac, sont très vite dépassées voire annihilées. La très grande majorité des médias offrent une tribune médiatique à cette association. La communication est bien « ficelée ». L’utilisation des médias, outil d’expression essentiel pour les groupes de façade, est parfaitement remplie. L’opération de relations publiques est réussie.

La création d’un tract, d’un site internet et d’un compte Twitter font également partie du dispositif.

Le logo de l’association reprend le format du message sanitaire mais il est présenté comme une règle contre laquelle il convient de s’opposer. Il traduit ainsi des valeurs de désobéissance civile et de rébellion contre l’autorité.

L’Union pour les Droits des Fumeurs Adultes, quel discours ?

 

Le message de l’Union pour les Droits des Fumeurs DFA et de sa Présidente, Nathalie Masseron, est clair : « L’Union pour les droits des fumeurs adultes » veut utiliser le poids économique, social et politique de cette catégorie de population pour faire entendre leur voix » et « empêcher des mesures qui vont à l’encontre de la santé publique, des finances publiques et des intérêts des fumeurs ».
« Nous voulons défendre notre liberté. On nous interdit les terrasses des cafés, certains veulent nous empêcher d’accéder aux parcs où il y a des enfants, certains hôtels sont non-fumeurs, bientôt on ne pourra plus louer un appartement si on est fumeur, on parle même d’interdire la cigarette en voiture !« 

Dans le discours relayé dans les médias par l’association, on retrouve la rhétorique habituelle des lobbyistes, à savoir déplacer le sujet non pas sur les questions de santé publique (méfaits, etc.), mais axer le débat sur des questions de défense des libertés individuelles et de libre arbitre ou encore mettre en avant le poids économique supposé des fumeurs. 

Le Parisien du 9 juin revient sur la première opération de sensibilisation de l’UDFA, lors d’une distribution de tracts dans un bar-tabac du 16ème arrondissement de Paris :

« Ses membres affirment ne pas être liés à l’industrie du tabac« . « Regroupant pour l’instant une centaine d’adhérents, l’association se donne un mois pour récolter le plus de signatures possible et envoyer une pétition au ministère de la Santé. » « En payant 80% de taxes sur nos cigarettes, nous sommes un vrai poids économique. Nous avons le droit à la parole et à la tolérance ».

L’Union pour les Droits des Fumeurs Adultes, une initiative montée par le fabricant BAT France

Plusieurs indices montrent que cette association est une initiative provenant d’un industriel du tabac.

La référence aux « adultes fumeurs » dans l’intitulé de l’association constitue une signature de l’industrie du tabac. Cette expression « adultes fumeurs » est un langage codé inventé par l’industrie du tabac.

Dans un document confidentiel de Brown & Williamson (filiale de British American Tobacco) daté de 1975, pour ne laisser aucune trace de la cible adolescente dans leurs documents écrits, les nouvelles instructions demandaient à ce que la cible jeune soit désignée comme « jeunes adultes ». Ainsi on pouvait lire :

« Dans le futur, lorsque vous décrivez le groupe d’âge le plus bas du business de la cigarette, nous vous prions d’utiliser les termes « jeune fumeur adulte » ou « marché des jeunes fumeurs adultes ». Merci de prévenir tous les membres du département que ces termes devront être utilisés dans tous les écrits dans le futur.  » [1]

Par ailleurs, la dénomination d’association est trompeuse puisqu’aucun statut n’a jamais été déposé concernant l’UDFA et depuis son lancement quasiment aucune activité concrète n’a été réalisée, aujourd’hui l’UDFA a même disparu du champ médiatique.

Qui est derrière ?

L’analyse du tract de l’association souligne que les techniques de persuasion de l’UDFA ressemblent étroitement à celles de l’ancien lobbyiste de British American Tobacco dans ses interventions dans les médias.

Par ailleurs, le tract est diffusé par l’association sur le site maptabac.com, le site de British American Tobacco, et une revue de presse est également disponible sur l’association.

Enfin, les investigations du CNCT ont pu établir un lien entre le lobbyiste de British American Tobacco et la présidente de l’association.

Si de nombreux médias ont relayé le lancement de l’UDFA, aucun à ce jour n’a dénoncé la manipulation du fabricant de tabac.


[1] Memorandum, Brown & Williamson, 24 janvier 1975, N° Bates 170031496

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